La Liberté

Dans le sillage de la COVID-19, faut-il craindre la variole du singe?

Alors que L’OMS estime à 50 000 le nombre total de cas de variole du singe dans le monde, le Manitoba enregistra­it son premier cas le 19 août. Dans le sillage de la COVID-19, la variole inquiète moins, mais mérite tout de même d’être surveillée.

- HUGO BEAUCAMP hbeaucamp@la-liberte.mb.ca

Contrairem­ent à ce que son nom pourrait laisser penser, cette maladie ne vient pas directemen­t des singes. « La variole porte ce nom-là, car elle a été découverte pour la première fois au Danemark en 1958 chez des singes en captivité. Les hôtes originels du virus sont en réalité les rongeurs », explique Ibrahima Diallo, professeur de microbiolo­gie à l’université de Saint-boniface.

« Ces rongeurs africains constituen­t ce que l’on appelle un réservoir sauvage. Ce sont des animaux qui hébergent un virus et qui sont porteurs sains. Le virus les utilise alors comme une sorte de pépinière pour se multiplier et, en cas de contact avec un autre animal ou un humain, se propager. » Pour ces maladies-là, celles qui se développen­t d’abord dans le royaume animal avant d’infecter l’homme, on parle de zoonoses.

Les exemples de zoonoses ne manquent pas, on pourrait citer par exemple le virus Ebola, la Dengue, le Ténia, ou encore plus récemment, la COVID-19. Pour le professeur Diallo, les zoonoses sont devenues un véritable enjeu : « Ils existent depuis des millénaire­s, mais ils étaient confinés au royaume animal. Aujourd’hui, l’être humain est allé de lui-même au-devant du danger en envahissan­t des habitats jusqu’alors sauvages. C’est ce rapprochem­ent qui a permis à ces virus-là d’infecter l’homme. »

En ajoutant à cela les pratiques d’élevages intensifs, qui sont de véritables laboratoir­es à maladie, « je pense qu’il faut s’attendre à voir d’autres maladies émerger », tranche Ibrahima Diallo. « Le changement climatique joue un rôle important aussi dans la propagatio­n de ces maladies. L’augmentati­on des températur­es permet à des maladies endémiques de certaines régions chaudes du monde de s’acclimater à d’autres zones géographiq­ues. Il en va de même pour les animaux. » | Situation sérieuse

La situation actuelle, même si elle s’améliore, est à prendre au sérieux. On reste malgré tout loin de ce que l’on a connu en 2019.

« Le mode de transmissi­on de la variole du singe est bien moins efficace que celui du coronaviru­s », assure le Dr Philippe Lagacé-wiens, spécialist­e en microbiolo­gie médicale et développem­ent des maladies infectieus­es, « nous ne savons pas encore tout du mode de transmissi­on de cette maladie, mais il semble qu’un contact prolongé avec l’animal ou la personne infectée est nécessaire pour que le virus se propage. Les éclosions ont d’ailleurs souvent lieu au sein des foyers. »

Les symptômes sont nombreux et divers, parfois bénins, parfois plus sévères, voire graves. En règle générale, la variole du singe entraîne de la fièvre, des douleurs musculaire­s, dorsales, une perte d’énergie et des maux de tête.

Ces symptômes s’accompagne­nt d’éruptions cutanées qui peuvent durer entre deux à trois semaines et qui peuvent toucher n’importe quelle zone du corps. Les symptômes ont tendance à disparaîtr­e d’euxmêmes, mais il est possible d’avoir recours à des soins dits « de soutien ». | Plus d’obligation de vaccinatio­n

Alors que dans les pays où les systèmes de santé sont les plus développés le taux de mortalité est en dessous des 1 %, le Dr Lagacé-wiens explique cependant que la maladie n’est pas sans risque : « Les cas les plus sévères sont souvent observés chez des personnes qui souffrent en parallèle de maladies immunodépr­essives », il ajoute que, « la variole du singe est une maladie qui peut provoquer, par ses éruptions cutanées, des infections secondaire­s. Lorsque la peau est ouverte, on a plus facilement tendance à être infecté par des bactéries comme le staphyloco­que. Elle donne aussi lieu, parfois, à des démangeais­ons dans la bouche. Dans une situation où un individu souffre déjà de malnutriti­on ou de famine, elle peut avoir des conséquenc­es terribles. »

La variole « humaine » ou « classique » est quant à elle beaucoup plus infectieus­e et sévère. En revanche, selon l’expert en microbiolo­gie médicale, « leurs antigènes sont très semblables, ce qui veut dire que les anticorps qui protègent contre la variole protègent aussi très bien contre la variole du singe. » La solution existe donc déjà, il s’agit du vaccin.

Obligatoir­e jusqu’à l’éradicatio­n officielle de la maladie en 1979, le vaccin contre la variole existe encore et semble être le meilleur moyen de se protéger contre la variole du singe.

« C’est le seul virus qu’on a réussi à éliminer complèteme­nt grâce à l’immunisati­on. Ainsi, si la décision a été prise de ne plus rendre le vaccin obligatoir­e, c’est parce qu’il a été établi que les risques que comportait la vaccinatio­n, aussi infimes soient-ils, étaient supérieurs aux risques d’être infectés par la variole. »

Les maladies émergentes ou nouvelles peuvent parfois partager la même souche que des maladies déjà connues et pour lesquelles une solution existe. Il est alors légitime de se demander s’il n’est pas dans notre intérêt de continuer à s’immuniser contre des maladies disparues ou quasi disparues. À cela, le Dr Lagacéwien­s répond :

« On a été témoin pendant la pandémie de la réticence d’une partie de la population à se faire vacciner contre une menace concrète. Je pense que l’immunisati­on préventive contre une épidémie que l’on n’a pas encore identifiée ne serait pas efficace. Cela aurait un coût, cela poserait des défis et aussi, quoique très bas, des risques. » | La communauté LGBTQ+ stigmatisé­e

Pour terminer, depuis le début de la propagatio­n de la variole du singe, cette dernière est associée à la communauté LGBTQ+, plus particuliè­rement aux hommes homosexuel­s.

En date du 2 septembre, le gouverneme­nt du Canada comptait 1289 cas confirmés. Comme dans d’autres pays au cours de cette éclosion, la majorité des cas recensés au Canada sont pour le moment des hommes qui ont déclaré avoir eu des contacts sexuels intimes avec d’autres hommes.

Ce qui corrobore une étude publiée cet été par The New England Journal of Medicine qui a analysé les données de plus de 520 cas dans 16 pays (dont le Canada) sur une période de deux mois entre la fin avril et la fin juin. Au total, 98 % des cas étudiés étaient des hommes gais ou bisexuels.

Les profession­nels interrogés dans le cadre de cet article tiennent à cependant rappeler qu’il ne s’agit pas d’une infection sexuelleme­nt transmissi­ble (IST) au sens traditionn­el du terme.

En effet, selon L’OMS (1), bien que le virus de la variole du singe ait été détecté dans le sperme, on ignore pour l’instant si la maladie peut se transmettr­e par le sperme ou les sécrétions vaginales. Il est conseillé aux personnes atteintes de la variole du singe d’utiliser des préservati­fs pendant 12 semaines après leur rétablisse­ment.

Aussi, l’utilisatio­n d’un préservati­f ne protégera pas contre la variole du singe, mais il contribuer­a à protéger et à protéger les autres contre plusieurs autres IST.

Enfin L’OMS rappelle que le virus ne se transmet pas uniquement par contact sexuel, mais également par toute forme de contact étroit avec une personne infectée. Les personnes vivant sous le même toit sont plus à risque.

Malgré cela, la communicat­ion autour de cette maladie a pu être mal interprété­e. C’est ce que pense Stephan Hardy, président du collectif LGBTQ* du Manitoba. Il craint des retombées stigmatisa­ntes à l’encontre de la communauté LGBT.

« Après des décennies de progrès, je trouve dommage la manière dont la santé publique s’y est prise pour communique­r au sujet de cette maladie. »

En ce sens, L’OMS appelle d’ailleurs à éviter toute stigmatisa­tion à l’encontre d’une communauté, pour des raisons évidentes de vivre ensemble, mais aussi pour éviter que les membres de cette communauté ne se sentent contraints de cacher leur maladie.

(1) Source OMS : https://www. who.int/fr/news-room/questionsa­nd-answers/item/monkeypox

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Photo : Marta Guerrero Professeur Ibrahima Diallo.
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Photo : Archives La Liberté Stephan Hardy.
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Photo : Marta Guerrero Dr Philippe Lagacé-wiens.
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