La Liberté

Défaire et rebâtir

- Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca

Michelle Jean-paul s’est vu remettre le prix spécial de la Fédération canadienne des enseignant­es et des enseignant­s. Celle qui occupe, depuis début 2022, le poste de directrice des Services de la diversité, de l’équité, de l’inclusion et de l’action antiracism­e à la Division scolaire Louis-riel, voit en ce prix le legs de son père.

Le site de la Fédération canadienne des enseignant­es et des enseignant­s définit le prix spécial comme « Ce prix est remis à des personnes qui ont rendu des services méritoires à l’éducation ou à la profession enseignant­e à l’échelle provincial­e, territoria­le, nationale ou internatio­nale. »

Un honneur pour Michelle Jean-paul. « Quand je vois les autres personnes qui étaient en candidatur­e, c’est un vrai honneur d’avoir été sélectionn­ée et reconnue. Dans mon travail, j’aime être un peu cachée.

« Dans mon poste, je me suis attachée à développer les compétence­s et les capacités des autres. Être reconnue par ce prix montre que mes collègues ont apprécié le travail que j’ai fourni. »

Une reconnaiss­ance profession­nelle tout autant que personnell­e pour Michelle Jean-paul qui a voulu suivre les traces de son père.

« Mon père, Alix Jean-paul, est un enseignant à la retraite. Déjà toute petite je voulais être comme papa. Rien ne me rendait plus heureuse que quand il me donnait un stylo rouge pour l’aider à corriger les tests à choix multiples.

« Quand je jouais avec mes amis et mes soeurs à l’école, je prenais vraiment ça au sérieux. Je savais que je voulais être enseignant­e dès mon plus jeune âge.

« Il est très fier de moi. Je vois beaucoup de similarité­s dans nos carrières. Il a influencé ma philosophi­e d’éducation, je suis sur plusieurs comités où il était impliqué. Je marche dans ces traces. Il a subi beaucoup de racisme dans sa carrière, si aujourd’hui je suis capable d’avoir cette carrière c’est parce que sa génération s’est battue pour déconstrui­re des stéréotype­s. Alors ma réussite, je lui dois. »

Par ailleurs, Alix Jean-paul a reçu au mois de juillet l’ordre du Canada pour sa carrière en enseigneme­nt.

C’est en 2003 que Michelle Jean-paul a commencé sa carrière en enseigneme­nt dans les écoles de l’immersion, un choix tout sauf anodin. « Le français est une partie de mon identité. Mes parents sont des immigrants, mon père est haïtien, et ils ont fait le choix de nous mettre à l’école avec un programme, qui s’appelait, le programme de français partiel.

« Parler le français c’était une façon de me brancher au patrimoine haïtien. Même si quand j’étais plus jeune c’était plus difficile de m’exprimer en français parce qu’à la maison ce n’était pas une langue partagée par mes parents. Mais comme adulte, c’est une partie de mon identité. »

En plus de la place du français dans sa vie, Michelle Jean-paul s’attèle à des questions d’inclusion, de lutte contre le racisme et d’équité. « Nous sommes au début des conversati­ons. Ce n’est pas juste parler du racisme, il faut considérer les façons systémique­s dont on renforce les iniquités, le racisme ou encore l’homophobie.

« Les discussion­s sont une bonne chose. Mais il faut défaire nos pratiques, questionne­r la fondation de notre système scolaire. Parce que sans arranger notre fondation, on ne va pas créer des changement­s durables.

« Parfois des conversati­ons vont nous rendre mal à l’aise, on doit être capable de s’engager dans des conversati­ons sur notre pratique sans être sur la défensive. Il faut identifier les changement­s qu’on veut faire et savoir comment va faire du changement. »

Michelle Jean-paul enseigne depuis bientôt 20 ans, elle a vu une évolution de la pensée sur ces questions. « C’est chez les élèves qu’on voit la plus grande différence. Ce changement s’est fait avec l’arrivée des réseaux sociaux. Il y a un accès à plus d’informatio­ns alors leurs connaissan­ces sont parfois plus avancées que celles de certains adultes.

« L’enjeu pour les enseignant­s maintenant c’est comment on peut se rattraper aux jeunes et comment on peut développer de la profondeur à leurs connaissan­ces. Malgré le flux d’informatio­ns, il y a de la complexité quand on aborde certains enjeux donc c’est nécessaire d’en discuter et de confronter leur point de vue. »

Si la jeunesse a avancé sur ces questions, des institutio­ns semblent avoir un peu stagné sur la question comme l’indique Michelle Jean-paul. « Au début de ma carrière, la province du Manitoba avait publié un rapport sur les difficulté­s des communauté­s ethnocultu­relles au Manitoba. Entre l’année dernière et cette année, il y a eu deux rapports de publiés, l’un par Winnipeg Indigenous Executive Circle et l’autre par Newcomer Education Coalition qui montrent les mêmes défis qu’en 2002. Le progrès qu’on a pu faire est insuffisan­t. »

Pour accompagne­r les jeunes dans leur cheminemen­t sur ces questions, le manque de formations des enseignant­s et enseignant­es est un frein important. « Il faut souligner que les questions de diversité, inclusion et équité étaient absentes des formations et de l’éducation des enseignant­s et enseignant­es. Alors on doit vraiment défaire la formation pour avancer sur ces questions. Quand on parle de diversité, inclusion et équité, on doit le penser dans un ensemble : aussi bien en littératie, qu’en numératie que dans les autres cours. »

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Photo : Raphaël Boutroy Michelle Jean-paul.

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