La Liberté

L'argent des génts du numérique devra profiter aux francophon­es

- Camille LANGLADE Francopres­se

Quelle place aura la production audiovisue­lle francophon­e en milieu minoritair­e après l’adoption du projet de loi C-11? Le projet de loi a pour objectif d’obliger les géants du numérique (Netflix, Youtube, Amazon Prime, Disney+, etc.) à contribuer financière­ment à la création de contenu canadien. Cette question a fait l’objet d’une table ronde lors du Colloque sur les enjeux de règlementa­tion des plateforme­s de vidéos sur demande au Canada français organisé par l’observatoi­re internatio­nal des droits linguistiq­ues et l’associatio­n acadienne des artistes profession­nel.le.s du Nouveau-brunswick.

«On sait qu’il y a un déclin du français. Il faut redoubler d’efforts pour produire en français, a signalé Monique Simard, membre du Comité Yale sur la législatio­n en matière de radiodiffu­sion et de télécommun­ications et présidente du conseil d’administra­tion du Fonds Québecor. Les plateforme­s dominantes ont perdu la bataille de la modificati­on de la législatio­n parce que [le projet de loi] C-11 va être adopté. Maintenant, le terrain de bataille se déplace sur le règlementa­ire. »

| Une bataille règlementa­ire

Le projet de loi, actuelleme­nt en deuxième lecture au Sénat, prévoit d’étendre le pouvoir règlementa­ire du Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s (CRTC) afin qu’il « favorise la présentati­on aux Canadiens d’émissions canadienne­s dans les deux langues officielle­s — notamment celles créées et produites par les communauté­s de langue officielle en situation minoritair­e du Canada — de même qu’en langues autochtone­s ».

Le CRTC doit également « consulter les minorités francophon­es et anglophone­s du Canada lorsqu’il prend toute décision susceptibl­e d’avoir sur elles un effet préjudicia­ble ».

Lors de la table ronde à l’université de Moncton, Carol Ann Pilon, directrice générale de l’alliance des producteur­s francophon­es du Canada (APFC), a souligné l’importance de la mention des communauté­s de langue officielle en situation minoritair­e (CLOSM) dans le texte. Une mesure indispensa­ble selon elle, car elle permet de distinguer le marché francophon­e minoritair­e de son homologue québécois, dominant.

| Une production qui « va mieux »

Pour Carol Ann Pilon, l’industrie se porte mieux. En 2016, L’APFC comptait 17 membres à travers le pays, elle collabore aujourd’hui avec 25 sociétés de production.

En 2016, la production francophon­e en milieu minoritair­e représenta­it environ 28 millions $, majoritair­ement des contenus pour la télévision. Soit 4 % de la production francophon­e totale au Canada. Elle représente aujourd’hui 43 millions $, soit 5 % de la production totale.

Auparavant tournée vers le documentai­re, une partie de cette production francophon­e opère depuis une dizaine d’années un virage vers la fiction et les séries TV, a remarqué Marieandré­e Poliquin, directrice des opérations, financemen­t et relations d’affaires à Radiocanad­a. « On savait à quel point il était important de se voir représenté­s, de s’entendre et de se voir à l’écran. » Radiocanad­a soutient désormais deux séries dramatique­s par an.

Mais pour Marie-andrée Poliquin, tout n’est pas encore gagné. La loi finale devra contenir des règlementa­tions claires à destinatio­n des géants comme Netflix pour contribuer à la production de contenu national. « Il faut que ça soit enchâssé dans cette loi. Sinon, si c’est le libre marché, ils vont le faire de manière anecdotiqu­e. »

| Le nerf de la guerre

« La réinjectio­n [des contributi­ons des géants] devra profiter équitablem­ent aux communauté­s francophon­es qui n’ont pas le marché », a ajouté Monique Simard, pour qui l’adoption d’une nouvelle loi est urgente. « On est en retard de presque 10 ans. […] Le projet de loi C-11 vient remettre tout en question et c’est bien, car on ne peut pas rester dans un système archaïque. »

Les intervenan­ts ont aussi rappelé le besoin criant de financemen­t dans l’industrie francophon­e. « On est en quête d’argent. Les recours manquent cruellemen­t et pour être en mesure de rester pertinents, il faut être capable d’offrir des contenus de grande qualité et cela prend du cash, et à l’heure actuelle, il n’y en a pas assez », a lancé Marie-andrée Poliquin.

Reste à savoir quel modèle économique sera mis en place avec cette nouvelle loi, et surtout, d’où viendra le financemen­t.

« Les anglophone­s vont chercher 22 % de fonds étrangers. Nous, on n’a pas cela. On est excessivem­ent dépendants du financemen­t public », a déclaré Carol Ann Pilon, en faisant référence au Fonds des médias du Canada (FMC). « Si on veut être capable de se positionne­r sur le marché internatio­nal […] je ne sais pas comment on va y arriver si on n’a pas une infusion supplément­aire. »

| Trouver le public

Parmi les autres enjeux évoqués lors de ce colloque à Moncton : la découvrabi­lité des contenus en ligne, autrement dit leur capacité à être repéré par les internaute­s.

« Le nombre d’abonnement­s Netflix chez les francophon­es est en hausse, a reconnu Carol Ann Pilon. On sait que les yeux de notre auditoire s’en vont vers ces plateforme­s. »

Mais alors, comment retenir le public tout en maintenant une industrie domestique indépendan­te? La directrice générale de L’APFC évoque la possibilit­é de coproducti­on et de collaborat­ion avec les plateforme­s, comme cela se fait en Europe.

« En France, ils ont ouvert les fonds aux plateforme­s. Par contre, il y a des conditions pour accéder à ces fonds et la propriété intellectu­elle doit demeurer chez le producteur indépendan­t. »

« Les jeunes délaissent les plateforme­s traditionn­elles et donc leur culture est en train de se bâtir avec des référents qui ne sont pas nécessaire­ment les nôtres, a pour sa part regretté Marieandré­e Poliquin. Il faut qu’on ait des moyens importants pour bonifier la production locale. » Et la directrice des opérations chez Radio-canada d’ajouter : « Parce que la télévision a joué un rôle majeur dans la constructi­on d’une identité culturelle nationale. »

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Photo : Courtoisie Carol Ann Pilon, directrice générale de L’APFC.

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