La Liberté

MÉDIAS SOCIAUX : C’EST MAINTENANT AU GOUVERNEME­NT D’AGIR

- Peter Macleod A présidé l’assemblée citoyenne canadienne sur l’expression démocratiq­ue. Le 10 novembre 2022 (1) https://www.commission­canada.ca/

Madame la rédactrice,

Comme bien des gens, Dawn est préoccupée par le fait que les médias sociaux semblent contribuer à attiser la colère et à diviser la population. D’autres, comme Soubhi, n’ont pas le même sentiment; ils considèren­t qu’on devrait être libre de dire et de faire ce qu’on veut en ligne. Fauzia, elle, voit les choses différemme­nt : elle pense qu’il serait préférable d’obliger tout le monde à utiliser son nom véritable en ligne. Pour sa part, Junior aimerait savoir pourquoi il est possible de faire impunément dans le cyberespac­e des choses qui nous attireraie­nt de sérieux ennuis partout ailleurs.

Toutes ces personnes ont un point en commun. Elles ont répondu à l’invitation qui leur a été adressée de faire entendre leurs préoccupat­ions sur les médias sociaux. Les Assemblées citoyennes canadienne­s sur l’expression démocratiq­ue et deux commission­s parallèles ont été mises sur pied en 2020. Ces véhicules discrets ont servi à propulser une réflexion inédite sur les moyens de réglemente­r efficaceme­nt au Canada les plateforme­s numériques et d’autres fournisseu­rs de services en ligne. Un rapport de synthèse (1) des travaux a été publié récemment, dans lequel les membres demandent au gouverneme­nt fédéral d’agir immédiatem­ent pour protéger la population canadienne dans ses activités en ligne.

Les assemblées ont été créées dans le but de définir un plan d’action que le gouverneme­nt pourrait suivre. Plutôt que de réunir un groupe de discussion chargé de cerner les grandes préoccupat­ions du public, l’exercice visait à donner à 90 personnes représenta­nt toutes les régions du pays ainsi que les deux langues officielle­s, la possibilit­é de s’instruire sur les enjeux et d’en débattre. On a invité les membres à réfléchir aux mesures à adopter pour s’attaquer au problème des « préjudices en ligne » et de la « désinforma­tion », termes pouvant paraître vagues, mais qui couvrent des sujets qui préoccupen­t une vaste majorité de la population : les prédateurs d’enfants; les fraudeurs; les campagnes menées de l’étranger pour propager la désinforma­tion et diviser la population; et les harceleurs en série – en particulie­r ceux qui visent les femmes, les personnes racialisée­s et les personnes LGBTQ2I.

La première assemblée, qui a coïncidé avec le début de la pandémie, a comporté pas moins de 32 rencontres virtuelles. La deuxième, qui s’est déroulée tout juste avant la survenue d’omicron, a combiné des réunions virtuelles et quatre jours de rencontres en personne à Ottawa. Une dernière assemblée s’est tenue en juin dernier dans le but de préparer une synthèse des travaux menés par les assemblées précédente­s, les commission­s et un groupe d’experts du gouverneme­nt fédéral.

Les membres des assemblées ont entendu des universita­ires, des représenta­nts de l’industrie et des responsabl­es politiques. Le plus important, peut-être, c’est qu’ils se sont écoutés les uns les autres. Une démarche pas toujours facile dans une chambre d’écho virtuelle, mais qui est demeurée malgré tout un aspect central de chaque rencontre. Alors, que veulent les Canadiens et les Canadienne­s? Dans leur rapport final, les membres demandent au gouverneme­nt de resserrer les lois en place et de sévir durement contre les auteurs des préjudices les plus odieux, en particulie­r lorsqu’ils visent des enfants et des groupes vulnérable­s.

Ils demandent aussi qu’on limite massivemen­t l’utilisatio­n de robots (« bots ») et, minimaleme­nt, qu’on impose l’étiquetage obligatoir­e assorti de règles précises pour restreindr­e la capacité des systèmes automatisé­s d’échanger de l’informatio­n et d’interagir avec de vrais utilisateu­rs.

Autre point extrêmemen­t important, les membres revendique­nt de meilleurs outils afin de pouvoir contrôler ce qu’on voit ou ne voit pas en ligne et le droit des utilisateu­rs de posséder leurs propres données et de les déplacer facilement entre les plateforme­s – un changement qui aviverait immédiatem­ent la concurrenc­e entre fournisseu­rs de services. Et ils pensent que la création d’un système multi-plateforme volontaire d’utilisateu­rs autorisés permettrai­t d’améliorer la responsabi­lisation des utilisateu­rs.

De plus, ils demandent que les plateforme­s permettent de valider les sources d’informatio­n et pensent que le gouverneme­nt doit continuer à investir dans le journalism­e de grande qualité.

Par ailleurs, les membres réclament un mécanisme de surveillan­ce digne de ce nom. En cas de problème, ils voudraient pouvoir recourir à une tierce partie capable d’accueillir leur plainte et de résoudre le litige. Ils demandent également la mise sur pied d’un organisme de réglementa­tion chargé d’élaborer des normes et de les appliquer.

Les membres des assemblées estiment qu’il appartient aux sociétés puissantes qui fournissen­t les services de faire la preuve que ces derniers sont sécuritair­es, comme c’est le cas d’ailleurs pour bon nombre de produits de consommati­on, tels que les aliments emballés, les voitures et les cosmétique­s.

Bref, la population canadienne exige davantage de surveillan­ce, de transparen­ce et de responsabi­lisation. Ce que les assemblées ont démontré, c’est que des personnes comme Dawn, Soubhi, Fauzia et Junior peuvent avoir des points de vue différents, mais que ceuxci ne sont pas irréconcil­iables. Comme société, nous ne sommes peut-être pas aussi polarisés que ce que nous laissent croire les médias sociaux. Les membres du public sont capables de parvenir à un terrain d’entente, à condition de leur en donner l’occasion, ainsi que le temps et l’informatio­n nécessaire.

Leurs conclusion­s offrent au gouverneme­nt une direction qui mérite d’être suivie.

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