La Liberté

Une nouvelle définition sans entraver la liberté d'expression

- Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca

L’alliance internatio­nale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA) travaille depuis 2016 à faire adopter une nouvelle définition de l’antisémiti­sme par différents États. Récemment, le gouverneme­nt du Manitoba a adopté cette dernière. Une volonté de la Province d’être mieux équipée face à la montée des crimes et actes antisémite­s.

L ’Alliance internatio­nale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA) définit l’antisémiti­sme comme suit : « L’antisémiti­sme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestat­ions rhétorique­s et physiques de l’antisémiti­sme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutio­ns communauta­ires et des lieux de culte. »

Le Canada a décidé d’adopter cette définition en 2019. De son côté, le gouverneme­nt du Manitoba a fait passer une motion pour l’adoption qui a été votée à l’unanimité par l’assemblée législativ­e en novembre 2022. Elle devient ainsi la 6e province à s’engager dans la lutte contre l’antisémiti­sme avec le Québec, l’ontario, le Nouveaubru­nswick, l’alberta et la Colombie-britanniqu­e.

En plus de cette définition, L’IHRA donne des illustrati­ons d’actes antisémite­s. Pour l’avocat pour les droits de la personne, Me David Matas, ces illustrati­ons reflètent le mal d’une époque. « Une définition donne un guide d’utilisatio­n. Les définition­s sont utiles pour traiter la discrimina­tion verbale et l’incitation à la haine car il faut comprendre les propos des gens pour réaliser que c’est de l’incitation à la haine. Les exemples donnés par IHRA ne signifient pas que seulement ces propos sont antisémite­s.

Ce sont juste quelques-uns des plus identifiés et qui permettent aussi aux personnes de reconnaîtr­e un discours haineux.

« Si quelqu’un agresse physiqueme­nt quelqu’un d’autre, c’est plutôt clair. Mais si quelqu’un incite à la haine d’une autre personne, il faut comprendre de quoi il parle.

| Une montée des crimes haineux

« Dans l’incitation à la haine envers les juifs, bien souvent ce n’est pas aussi simple que : je hais les Juifs. Ce sont des références délicates, des codes. C’est bien plus compliqué que ça pourrait paraître. Il faut alors maîtriser de quoi on parle pour identifier le discours haineux. »

Si une nouvelle définition avait besoin d’être mise en place, c’est parce que les crimes haineux envers les juifs sont en hausse. Tout comme les actes antisémite­s.

D’après les rapports de police, pour l’année 2020, au Canada, 321 crimes haineux ont été déclarés à la police contre 306 en 2019. Les rapports de police détaillent. « Comme pour de nombreux groupes, tout au long de la pandémie, des cas de discrimina­tion à l’encontre des population­s juives et musulmanes ont été signalés en raison de la désinforma­tion et des théories du complot liées à la pandémie, souvent liées à des théories ou croyances antijuives ou antimusulm­anes plus générales. »

Au grand regret de Me David Matas. « Si vous êtes juifs, vous êtes plus sujet aux crimes de haine que les autres groupes religieux. Je suis membre de B’nai Brith Canada qui fait un audit annuel sur les actes antisémite­s. Ils donnent un large éventail de ce qui a pu arriver au cours des dernières années (1). En 2020, ils ont recensé 2 610 incidents antisémite­s, une augmentati­on de 18,3 % par rapport à 2019. »

Belle Jarniewski, directrice générale du Jewish Heritage Centre of Western Canada, espère que cette nouvelle définition va permettre un nouvel élan dans la lutte contre les actes antisémite­s. « Il y a une augmentati­on exponentie­lle des incidents envers les juifs au Canada. Depuis que l’ontario a adopté une nouvelle définition, les incidents ont diminué dans la province. C’est un outil pédagogiqu­e. En Angleterre, la définition a été adoptée dans des université­s, dans des clubs de soccer, des intervenan­ts ont montré où est la limite entre liberté d’expression et propos antisémite­s. »

| De la nuance dans les propos

Tout l’enjeu réside dans cet argument : la liberté d’expression. Pour Me David Matas, cet argument n’a pas lieu d’être. « La définition ne change pas la loi, elle donne juste un éclairage sur ce qui est antisémite. Il y a une tendance chez les premiers intervenan­ts de ne pas déclarer si c’est un crime haineux. Ce qui peut être compréhens­ible puisque la police peut ne pas cerner complèteme­nt la définition. Mais une fois que vous avez une définition comme celle de L’IHRA, c’est bien plus simple pour eux de classifier ce qui est un crime haineux ou pas.

« Cette définition permet d’outiller davantage de personnes pour justement appliquer la loi. Elle donne une clarté sur le moment où le crime devient haineux.

« Ce n’est pas pour autant qu’on ne peut plus critiquer l’état d’israël. On peut ne pas être d’accord avec une politique du gouverneme­nt d’israël et l’exprimer sans pour autant que notre critique soit antisémite. »

Belle Jarniewski, membre de la délégation canadienne de L’IHRA, abonde dans le sens de Me David Matas. « C’est un outil juridiquem­ent contraigna­nt. Des gens disent qu’à chaque fois qu’on critique l’état d’israël, on est accusé d’antisémiti­sme. La définition vient clarifier cet argument.

« Ce n’est pas le fait de critiquer l’état d’israël qui fait de vous quelqu’un d’antisémite. Mais il arrive que la limite soit franchie. Quand la politique d’israël est comparée à la politique des Nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, la limite est franchie. C’est de l’antisémiti­sme. Quand on dit que les juifs canadiens influencen­t/ sont liés aux décisions du gouverneme­nt israélien, c’est de l’antisémiti­sme.

« Il faut de la nuance. Dans tout ce qu’on dit. Certaines personnes invoquent la liberté d’expression, il y a une différence entre liberté d’expression et propos antisémite­s. Cette définition ne vient pas entraver la liberté d’expression des gens. »

À plusieurs égards, cette limite a été franchie dans des campagnes de boycott. D’ailleurs Belle Jarniewski y voit une obsession envers les juifs. « Souvent les campagnes de boycott franchisse­nt la ligne où leurs propos deviennent antisémite­s. Certains soulèvent que l’état d’israël ne devrait pas exister, que l’idée même d’un état juif est raciste. Alors que beaucoup de pays s’identifien­t musulmans ou catholique­s.

(1) https://drive.google.com/ FILE/D/1O9IXB4FSO­3XKRG4K3yy­mtxvtmpvz-ws6/view

« Il faut de la nuance. Dans tout ce qu’on dit. Certaines personnes invoquent la liberté d’expression, il y a une diffé-rence entre liberté d’expression et propos antisémite­s. %GVVG FÅƂPKVKQP PG XKGPV RCU entraver la liberté d’expression des gens. » - Belle JARNIEWSKI

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Photo : Marta Guerrero Belle Jarniewski est directrice générale du Jewish Heritage Centre of Western Canada.
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Photo : Marta Guerrero Me David Matas est avocat pour les droits de la personne à Winnipeg.

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