La Liberté

Briser le cycle des violences

- Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca

Le gouverneme­nt du Manitoba s’est doté d’une nouvelle loi dans la lutte contre les violences conjugales. Inspirée du Royaumeuni avec la Loi Clare, la loi manitobain­e apporte une dimension supplément­aire avec la mise en place de soutien approprié.

La Loi sur la communicat­ion de renseignem­ents pour la protection contre la violence de la part d’un partenaire intime a été adoptée par le Manitoba au début du mois de novembre. Son but est de pouvoir fournir toutes informatio­ns jugées nécessaire­s à un.e partenaire qui soupçonne son/sa partenaire d’avoir des antécédent­s de violences conjugales. Cependant beaucoup de détails restent en suspens et sont un travail à poursuivre comme l’explique Me Robynne Kazina, avocate spécialisé­e en droit de la famille au Manitoba pour le cabinet Taylor Mccaffrey. « Le Manitoba a présenté cette loi en mai, elle vient juste d’être adoptée. Nous ne connaîtron­s les détails que plus tard. Sûrement en décembre. En attendant, nous pouvons regarder ce qui se fait en Alberta ou en Saskatchew­an. »

Toutefois quelques réserves ont été exprimées par rapport à cette loi notamment sur des questions de vie privée. Me Robynne Kazina confirme : « C’est forcément une préoccupat­ion dont on a entendu parler avec d’autres personnes qui évoluent dans le droit de la famille. C’est d’ailleurs une préoccupat­ion légitime.

« En Saskatchew­an et en Alberta, où une loi similaire est en vigueur, aucune informatio­n n’est donnée de manière écrite. L’agent fait seulement un rapport oral. Le but est d’éviter que n’importe quel document ne soit divulgué sur les réseaux sociaux ou ailleurs.

« L’intention de cette loi est réellement de donner toutes les informatio­ns à une personne à risque de violences conjugales pour qu’elle puisse prendre une décision.

« En Alberta et en Saskatchew­an, dans son applicatio­n, elle n’interfère pas avec d’autres lois c’est-à-dire qu’on ne peut pas se servir de ces informatio­ns dans des séparation­s ou des divorces. Les informatio­ns ne peuvent pas être utilisées à part pour une prise de décision de la part du demandeur. »

Avant cette loi, il était très difficile de pouvoir accéder à ces informatio­ns comme le rappelle Me Ruphine Djuissi, avocate pour Infojustic­e. « Il n’y avait rien de spécifique au Manitoba à ce sujet. Il y avait la Loi sur l’accès à l’informatio­n et la protection de la vie privée qui disait qu’on ne pouvait pas communique­r des informatio­ns d’une personne à une autre personne. Mais dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales, le gouverneme­nt provincial a choisi de faire cette loi parce qu’on veut protéger les personnes susceptibl­es d’être victimes de violence. »

Me Robynne Kazina se veut rassurante avec les personnes qui penseraien­t que la loi pourrait être mal utilisée. « Depuis la mise en place de cette loi, en Saskatchew­an et en Alberta, il n’y a eu aucune constatati­on d’un abus. Personne n’a fait de demande sans réelle justificat­ion. En Saskatchew­an, j’ai eu l’occasion de parler avec des profession­nels du milieu, ils ont reçu une trentaine de demandes depuis l’entrée en vigueur en juin 2020. Toutes les demandes évaluaient des situations à haut risque.

« S’il n’y a pas de raison de faire une demande, il n’y aura pas d’informatio­n à connaître. En Saskatchew­an et en Alberta, ce ne sont pas seulement les agresseurs condamnés qui sont enregistré­s dans ce fichier. Mais ceux dont la police a pu recevoir des plaintes, des appels pour un.e conjoint.e violent.e. Si une personne a une conviction que son/sa partenaire pourrait avoir des antécédent­s de violences alors dans cette situation la loi s’applique. C’est un outil. »

Un outil qui pourrait s’avérer bel et bien utile dans la lutte contre les violences conjugales. Statistiqu­e Canada recensait en 2019, au Manitoba, grâce aux rapports de police, 607 cas de violences entre partenaire­s intimes pour 100 000 personnes. Les femmes étaient les principale­s cibles de ces violences. Au Canada, en 2019, c’est près de 432 000 femmes qui ont été victimes de violences conjugales. Depuis 2019, les confinemen­ts dus à la pandémie de COVID-19 ont accentué les actes de violence conjugale partout au Canada.

Me Ruphine Djuissi commente : « Au Canada, tous les deux jours, une personne meurt sous les coups de son conjoint. Grâce à cette loi, le gouverneme­nt veut s’assurer que les partenaire­s intimes ne profitent plus des failles de la Loi sur l’accès à l’informatio­n et la protection de la vie privée.

« Cette loi permet d’être préventive. Lorsqu’un partenaire suspecte un autre partenaire, il peut utiliser cette loi. Jusqu’à date, il y avait plutôt une justice réactive, il y avait déjà quelqu’un de mort à cause de son partenaire et la justice punissait la personne responsabl­e. On veut éviter que les personnes meurent. »

Pour ce faire, le Manitoba a décidé d’inscrire dans sa loi une partie sur l’aiguillage des personnes victimes de violences conjugales vers des ressources appropriée­s. Un point que relève Me Robynne Kazina. « La clé dans la loi manitobain­e, c’est de connecter les personnes à risque de violences avec des organismes de soutien.

Beaucoup de survivants de violences conjugales ne vont pas dans ces centres pour différente­s raisons : le cycle des violences, ils ont peur dans les refuges et d’autres choses. Personne ne va les blâmer pour ces raisons. » En effet, Statistiqu­e Canada recensait qu’au Canada seulement un tiers des personnes victimes de violences conjugales tentait de joindre un réseau formel pour sortir de son cycle de violence.

Me Robynne Kazina poursuit : « On va pouvoir mettre en lien ces femmes, qui utilisent la loi et dont la situation est évaluée à risque, avec des ressources appropriée­s pour s’échapper des violences conjugales. Même pour les femmes qui sont déjà parties et qui feraient un signalemen­t après, on va pouvoir les accompagne­r. Les profession­nels du milieu et les militants le savent, il y a un risque supplément­aire de violences lorsque la personne est partie. »

Me Ruphine Djuissi souligne tout de même une difficulté dans l’applicatio­n de cette loi. « Comme toutes les lois, il y a des failles. Si une personne est violente mais non connue des fichiers de la police. Il va être très difficile d’obtenir des informatio­ns sur cette personne.

« La base de données n’est pas complète. Il y a des personnes qui réussiront toujours à passer au travers des mailles du filet. Peut-être que cette loi va permettre aux victimes de dénoncer leurs agresseurs pour avoir le plus d’informatio­ns possibles. »

Reste que pour Sonia Grmela, directrice générale de l’organisme Chezrachel, cette loi est une bonne nouvelle. « Le gouverneme­nt fait un pas dans la lutte contre les violences conjugales. Avec cette nouvelle loi, les femmes vont pouvoir se sentir appuyées. Je n’ai, pour l’instant, aucune expérience avec l’applicatio­n de la loi, alors il va falloir voir les prochains mois. Même si évidemment, cette loi n’empêchera pas la violence conjugale. »

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Photo : Gracieuset­é Robynne Kazina Me Robynne Kazina est avocate spécialisé­e en droit de la famille au Manitoba.
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Photo : Marta Guerrero Sonia Grmela est la directrice générale de Chezrachel.
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Photo : Archives La Liberté Me Ruphine Djuissi est avocate pour Infojustic­e.

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