La Liberté

Désinforma­tion : la sensibilis­ation continue

- JONATHAN SEMAH jsemah@la-liberte.mb.ca

Le Centre d’études sur les médias (CEM) et l’organisme Habilomédi­as ont développé un atelier éducatif en mode mobile pour contrer les effets négatifs de la dés-informatio­n et de la mésinforma­tion en ligne.

Sur les 360 participan­ts, une légère diminution de la confiance envers les informatio­ns trouvées sur les réseaux sociaux, de même qu’une diminution dans le partage d’informatio­ns non vérifiées ont été observées à la suite de cet atelier. Des résultats positifs à confirmer dans le temps.

L’étude a été réalisée entre mai et octobre 2021 et a concerné de jeunes adultes francophon­es âgés de 18 à 35 ans. Quatre variables principale­s ont été mesurées : l’état de la désinforma­tion à l’égard de la COVID-19, la confiance envers l’informatio­n trouvée sur les médias sociaux, les pratiques de vérificati­on des informatio­ns trouvées en ligne et le partage d’informatio­ns non vérifiées.

Très concrèteme­nt, il a été développé un atelier en ligne adapté aux téléphones cellulaire­s. En 30 minutes, les participan­ts apprenaien­t à évaluer l’informatio­n de manière critique, à vérifier des informatio­ns en ligne et à adopter des pratiques prudentes en matière de partage d’informatio­n.

Le choix de travailler sur la période de la pandémie n’est pas dû au hasard. Au plus fort de la crise, beaucoup de fausses nouvelles ont été partagées que ce soit sur la maladie, sur les mesures sanitaires ou encore sur la vaccinatio­n.

On a pu parler à ce moment-là d’infodémie, soit une surabondan­ce d’informatio­ns, dont certaines sont véridiques et d’autres non. Pour Statistiqu­e Canada, Karine Garneau et Clémence Zossou avaient en février 2021 fait état de la désinforma­tion en période pandémique. Certains chiffres étaient très révélateur­s. Près de deux Canadiens sur cinq (40 %), quel que soit le genre, rapportaie­nt avoir déjà cru que des informatio­ns liées à la COVID-19 étaient vraies pour ensuite réaliser que ce n’était pas le cas. L’enquête révélait également que plusieurs Canadiens n’avaient pas l’habitude de vérifier l’exactitude des informatio­ns trouvées en ligne, avec seulement 21 % des répondants qui l’ont fait.

Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias, est la chercheuse principale du projet. Elle explique pourquoi avoir étudié la tranche d’âge 18-35 ans. « C’est un groupe d’âge qui est ciblé dans la littératur­e, même s’il est très large, par rapport à ses habitudes numériques. C’est un groupe qui a aussi des habitudes en ce qui concerne l’informatio­n et la désinforma­tion qui peut être préoccupan­te à certains égards. Même à 35 ans, on fait moins confiance aux médias d’informatio­n traditionn­els et aux sources plus convention­nelles. On est méfiants face à l’ensemble des sources. »

La confiance est le coeur du sujet. Il a été étudié dans la publicatio­n du Centre des

médias, mais aussi début novembre dans un sondage mené par Maru Public Opinion, réalisé le 25 et 26 octobre 2022 sur une sélection aléatoire de 1529 adultes canadiens. Plus de la moitié des répondants ont déclaré qu’ils considérai­ent les médias d’informatio­n traditionn­els comme la source d’informatio­n la plus fiable, représenta­nt une baisse de 7 % par rapport à 2020. Si cette baisse est légère, elle l’est beaucoup plus pour les organismes de santé publique, puisque seulement un tiers des Canadiens les considèren­t comme la source d’informatio­n la plus crédible. C’est une baisse de 23 % par rapport à 2020.

Patrick White est professeur de journalism­e à l’université du Québec à Montréal (UQAM). Il observe aussi cette perte de confiance. « C’est clair qu’il y a un phénomène d’évitement des nouvelles qui se développe en ce moment. Il y a beaucoup de gens au Royaume-uni ou aux États-unis qui n’écoutent plus les nouvelles à la télévision, la radio ou dans les médias traditionn­els. Malgré tout, au Canada, les médias traditionn­els ont encore la confiance d’une majorité des gens, mais c’est surtout les jeunes canadiens qui sont moins susceptibl­es de voir en les médias traditionn­els une source fiable. »

| Les jeunes face à l’informatio­n

Ici Patrick White fait aussi référence au sondage de Maru Public Opinion. Dans ce dernier, seuls 36 % des Canadiens âgés de 18 à 34 ans trouvaient les organes de presse traditionn­els comme source d’informatio­n la plus fiable.

Le spécialist­e des médias continue sur les jeunes canadiens. D’après lui, cette tranche d’âge s’informe grâce à d’autres canaux et ne va plus forcément chercher l’informatio­n. « Leur source d’informatio­n, c’est les notificati­ons sur téléphone, Tik Tok est devenu leur moteur de recherche ou alors ils vont simplement voir passer des articles sur Facebook, sur Twitter ou encore sur leur fil Instagram. L’informatio­n vient à eux, ils ne vont nécessaire­ment plus vers elle. Les jeunes sont dans une autre dynamique. Ils prennent l’informatio­n sur le téléphone. D’ailleurs, cette informatio­n est souvent en vidéos. Alors l’effet Youtube, Tik Tok et Instagram est très fort. »

Tik Tok plus précisémen­t est d’ailleurs l’un des réseaux sociaux les plus prisés par les jeunes. Selon une étude de Statista, en 2022, 47 % des utilisateu­rs de Tik Tok ont entre 10 et 29 ans. L’applicatio­n connaît depuis quelques années une importante croissance en matière d’utilisateu­rs, mais aussi sur le plan économique. En effet, lors du Media & Entertainm­ent Leaders Summit (MELS) qui a eu lieu à Londres à la mi-novembre, le centre de recherche Omdia a révélé que Tik Tok attirera plus des deux tiers des recettes de la publicité vidéo en ligne d’ici 2027, soit plus que Meta (la société mère de Facebook) et Youtube réunis.

| La désinforma­tion circule vite

Adopter les bonnes pratiques face à la surcharge de nouvelles qu’on reçoit a été donc l’un des enjeux de l’étude du Centre d’études sur les médias, surtout en ces temps de désinforma­tion. En 2018, on apprenait notamment que les fausses nouvelles se partageaie­nt bien plus vite que les vraies. Dans une étude du MIT pour la revue américaine

Science, il était dit que les fausses nouvelles se diffusent « plus loin, plus vite, plus en profondeur et plus largement » que les vraies.

Colette Brin tente d’expliquer pourquoi. « Il y a deux choses. La fausse nouvelle est plus facile à produire et elle est souvent conçue avec une surcharge émotive. Elle suscite la peur, la colère, le dégoût, donc des réactions fortes. Et l’on sait très bien que c’est une bonne façon de capter l’attention. Alors que l’informatio­n de qualité est souvent nuancée, neutre et peut-être plus complexe. »

Même constat pour Patrick White qui précise qu’une fausse nouvelle circule six fois plus vite qu’une informatio­n vérifiée selon plusieurs études. « Je ne dis pas que ça demeure un mystère pour moi, mais c’est une réalité. C’est pour ça qu’il faut continuer à redoubler d’ardeur avec la vérificati­on des sources et l’éducation civique aux médias. Il faut investir dans l’éducation aux médias dès le plus jeune âge. »

Les journalist­es ont également un rôle à jouer face à cette situation selon les deux experts. « Il y a un travail à faire qui est orienté vers un journalism­e de solutions. Ça ne veut pas dire que les journalist­es doivent être la solution à tous les problèmes. Dans un reportage, il y a un souci de rigueur et de profondeur, mais aussi montrer de l’espoir. L’espoir suscite des émotions positives qui contrent cette abondance d’émotions négatives », explique Colette Brin.

« On n’a jamais eu autant besoin des journalist­es pour expliquer, décortique­r, vulgariser, mettre en contexte et jouer un rôle supérieur. C’està-dire d’expliquer les faits aux gens, car nous sommes dans un monde où il y a trop d’informatio­ns et pour un citoyen lambda, c’est impossible à gérer », ajoute Patrick White.

Au rang des solutions et des résultats, l’étude menée par le CEM a constaté que l’atelier éducatif d’habilomédi­as a influencé positiveme­nt la perception des participan­ts de leur propre capacité à identifier les fausses informatio­ns. Aussi, les personnes ayant pris part à l’étude ont moins tendance à adhérer aux énoncés contestabl­es à propos de la COVID-19.

Colette Brin revient sur les faits saillants de cette étude. « Ce qui est le plus intéressan­t et original, c’est qu’il y a plusieurs résultats qui se maintienne­nt dans le temps. Typiquemen­t, ce genre d’interventi­on a un effet de sensibilis­ation, de prise de conscience et d’intention de changer ses comporteme­nts. L’idée est surtout de faire de la prévention. On dit aux gens : Vous êtes capables de faire votre propre recherche, mais avec plus d’assurance et en étant capable de distinguer les sources plus douteuses.»

À la prise de conscience personnell­e, il faut ajouter l’action politique. En effet, la régulation des médias sociaux se met en place et les grandes entreprise­s de GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) sont régulièrem­ent sanctionné­es. Patrick White voit d’un bon oeil l’action politique qui se mène actuelleme­nt.

« L’étau se resserre. Au Canada par exemple, il y a trois lois à l’étude. Une sur les partages des redevances entre les GAFAM et les médias d’informatio­n, une sur les contenus préjudicia­bles en ligne et un autre projet de loi sur l’importance des contenus canadiens et francophon­es. Donc on voit que le gouverneme­nt fédéral agit. Il est peut-être un peu tard, mais il n’est jamais trop tard pour réglemente­r des entreprise­s privées qui se retrouvera­ient à gérer le discours public un peu partout sur la planète. »

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Photo : Gracieuset­é Colette Brin Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias.
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Photo : Gracieuset­é Patrick White Patrick White, professeur de journalism­e à L’UQAM.

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