La Liberté

GABRIELLE ROY, PENCHÉE SUR LA CONDITION HUMAINE

- Simone CHAPUT, Collaborat­ion spéciale

Simone Chaput est romancière et professeur­e à la retraite.

Lire Gabrielle Roy, c’est s’ouvrir à la beauté, au mystère, à l’infinie tristesse de l’expérience humaine. On ne sort pas indemne d’une lecture de ses oeuvres : gagné d’abord par sa grande simplicité, on lui fait confiance, on s’abandonne à la douceur de sa voix et on découvre que, presque à notre insu, elle s’est saisie de notre âme et l’a emportée avec elle dans sa vertigineu­se contemplat­ion de la vie (1). Et ce qu’elle nous amène à découvrir, par le biais de mots précis et d’images étonnammen­t justes, nous blesse, nous illumine et nous transforme. C’est Gabrielle qui nous a révélé la Plaine. Devant le ciel énigmatiqu­e, devant l’élan irrésistib­le des grandes étendues, nous avons tous éprouvé cet étrange effarement du coeur. Mais c’est Gabrielle qui nous a donné les mots pour l’exprimer. C’est elle qui a lié ce ravissemen­t soudain au désir d’ailleurs, à la nostalgie du recommence­ment possible (2), à la conscience des mille possibilit­és du destin (3). C’est Gabrielle, également, qui nous a renseignés sur le travail sans rivage qu’est l’oeuvre de l’artiste. En nous faisant part de sa propre expérience comme interprète du monde, comme celle qui écoute longtemps, longtemps les voix qui se

croisent (4), elle nous a fait goûter à la vie de l’artiste, à l’exaltation et au désespoir qui sont son pain quotidien. C’est par elle qu’on a découvert que ce n’est pas toujours souhaitabl­e d’être celui à qui Dieu parle (5),

et que l’écriture, c’est la route la plus terrible (6). C’est Gabrielle, enfin, qui a trouvé les mots pour dire la détresse et l’enchanteme­nt de l’aventure humaine. Mais une lecture même superficie­lle de ses oeuvres révèle que son coeur a plus souvent été étreint par la souffrance que par le bonheur. Ses personnage­s ne sont étrangers ni aux regrets, ni à l’amertume, ni à l’échec, ni aux espoirs déçus. Et lorsqu’on a fait la connaissan­ce d’une Luzina Tousignant, d’un Alexandre Chenevert ou d’un Pierre Cadorai, lorsqu’on a goûté à leurs défaites, à leurs hantises et à leurs désirs inassouvis, on a pris la mesure, je pense, du regard désemparé que Gabrielle Roy portait sur le monde. Elle s’est penchée sur la condition humaine, elle a médité ses vérités, elle nous a donné un univers pénétré de compassion pour l’homme, cette petite créature hantée par trop d’infini (7). L’oeuvre de Gabrielle Roy émeut profondéme­nt. Par son écriture d’abord, limpide et pleine de grâce, par son évocation des espaces en attente, par son exploratio­n des paysages du coeur humain. Si, comme peuple de la Plaine, comme êtres infimes et éphémères, on se voit, on se comprend, on se pardonne mieux, c’est un peu à cause d’elle. (1) La montagne secrète – Gabrielle Roy (1971) Montréal, Beauchemin, p. 155. (2) La route d’altamont, «Le déménageme­nt» - Gabrielle Roy (1966) Montréal, Éditions HMH, p. 167. (3) Ibid., «La route d’altamont» Gabrielle Roy (1966) Montréal, Éditions HMH, p. 196. (4) Rue Deschambau­lt, «La voix des étangs » - Gabrielle Roy (1955) Montréal, Beauchemin, p. 221. (5) La montagne secrète – Gabrielle Roy (1971), Montréal, Beauchemin, p. 108. (6) La détresse et l’enchanteme­nt – Gabrielle Roy (1984) Montréal, Boréal, p. 455 (7) La route d’altamont, «Le vieillard et l’enfant » - Gabrielle Roy (1966) Montréal, Éditions HMH, p. 147

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