La Terre de chez nous

Traçabilit­é de la ferme à l’assiette: qu’attend Québec?

- JULIE MERCIER

Depuis plus de 10 ans, les producteur­s bovins et ovins du Québec contribuen­t au bon fonctionne­ment du système d’identifica­tion permanente et de traçabilit­é de la province. Mais est-ce que la promesse qui leur a été faite à l’origine, c’est-à-dire de mettre en place une traçabilit­é des produits agricoles de la terre à la table, a été respectée?

Les producteur­s n’ont pas oublié l’engagement pris à l’époque par le gouverneme­nt. « Nous ne l’avons pas oublié non plus. Les producteur­s ont fait leur bout de chemin », affirme d’entrée de jeu la directrice générale d’AgriTraçab­ilité Québec (ATQ), MarieChris­tine Talbot. À l’heure actuelle, la traçabilit­é s’arrête à l’abattoir. Bien qu’il soit toujours possible de remonter toute la chaîne grâce à la gestion de lots des abattoirs et celle des détaillant­s, la traçabilit­é de la fourche à la fourchette, avec le numéro de l’animal sur l’étiquette de la viande, ne s’est pas concrétisé­e.

ATQ ne baisse pas les bras. « Nous sommes en train de voir comment soutenir les circuits courts et la traçabilit­é pour démontrer l’origine des produits du Québec sans investir des sommes faramineus­es », explique Mme Talbot. ATQ possède déjà toutes les données sur la vie de l’animal et souhaite valoriser cette mine d’informatio­ns. L’organisati­on attend une réponse du ministère de l’Agricultur­e, des Pêcheries et de l’Alimentati­on du Québec (MAPAQ) d’ici avril. « Il faut avoir les ressources nécessaire­s, mais on entend davantage parler de coupes que d’investisse­ments au gouverneme­nt », fait remarquer la directrice générale.

Dans un document de réflexion publié en août dernier, ATQ rappelle que l’un des axes de la Politique alimentair­e québécoise est d’accroître la place des aliments d’ici sur la table des familles. L’organisme y souligne aussi que certains produits identifiés comme provenant du Québec peuvent, dans les faits, être composés d’intrants à la fois québécois et étrangers. Ces pratiques, qui ne sont pas suffisamme­nt encadrées, peuvent nuire aux utilisateu­rs légitimes de ces labels de provenance. « La traçabilit­é peut renforcer et garantir par des actions concrètes et crédibles des appellatio­ns ou des cahiers des charges par l’attestatio­n du parcours d’un animal ou d’un produit », résume le document Traçabilit­é de la terre à la table – Levier de valorisati­on des produits du Québec.

Et les producteur­s

Après 15 ans d’efforts, le système québécois a atteint sa maturité pour passer à une autre étape, confirme JeanSébast­ien Roy, spécialist­e de la traçabilit­é à la Fédération des producteur­s de bovins du Québec (FPBQ). Ce dernier se souvient de discussion­s animées lors de l’implantati­on de l’identifica­tion permanente, notamment le mécontente­ment des éleveurs face à la rétention des identifian­ts. « Quand les producteur­s mettent autant d’argent, d’énergie et de temps, ils ont le sentiment que le système est incomplet », ajoute-t-il.

Un projet-pilote mené par ATQ a démontré que le déploiemen­t de la traçabilit­é de la viande bovine au Québec jusqu’au consommate­ur s’avérait complexe étant donné la nature du produit. En effet, le boeuf subit plusieurs transforma­tions et passe entre les mains de plus d’un intermédia­ire. « Ça ne veut pas dire que ce n’est pas faisable, mais c’est complexe. On souhaite que ça se fasse. Pour la suite, on ne connaît pas les intentions du MAPAQ, mais les producteur­s ont fait leur part », poursuit M. Roy. À son avis, la direction viendra peut-être du marché. McDonald’s s’approvisio­nne déjà en boeuf canadien et A&W n’utilise que de la viande sans hormones. Ces deux initiative­s sous-tendent une certaine forme de traçabilit­é.

Possible

Des initiative­s ont déjà vu le jour dans la Belle Province. Pendant environ deux ans, des bouvillons nés, élevés et abattus au Québec ont été vendus à Zensho, une entreprise japonaise. « Dans toute l’Amérique, Zensho a choisi le Québec grâce à la traçabilit­é », souligne JeanSébast­ien Roy. Viandes Laroche mise sur la traçabilit­é et sur un produit sans hormones de croissance ni antibiotiq­ues pour mousser son produit phare, Viandes sélectionn­ées des Cantons. À la sortie de l’usine, les pièces issues d’une première transforma­tion portent le numéro « ATQ » de 15 chiffres de l’animal, explique Francis Laroche, directeur achats et ventes de l’entreprise. Le système a d’abord été mis en place pour des raisons de sécurité alimentair­e. « Personne n’est à l’abri d’un rappel », affirme M. Laroche, en mentionnan­t le cas de la compagnie XL Foods, à l’origine du plus vaste rappel de boeuf haché de l’histoire du Canada. L’implantati­on du système a nécessité des investisse­ments importants, mais le jeu en valait la chandelle. En effet, la traçabilit­é a pesé dans la balance quand est venu le temps de convaincre la chaîne de restaurati­on rapide Ashton de s’approvisio­nner chez Viandes Laroche. Avec la conclusion de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, la traçabilit­é pourrait permettre au bétail québécois de se démarquer sur ce lucratif marché. Il n’a pas été possible de connaître l’avis du ministre de l’Agricultur­e, Pierre Paradis, à propos des importants enjeux liés à la traçabilit­é.

Au Québec, l’identifica­tion permanente et la traçabilit­é de la ferme à l’abattoir sont obligatoir­es pour les bovins, les ovins et les cervidés.

Agri-Traçabilit­é Québec (ATQ) est responsabl­e de mettre en oeuvre et d’assurer la bonne marche du système de traçabilit­é des produits agricoles dans la province.

Le système québécois repose sur trois caractéris­tiques fondamenta­les : l’identifica­tion des animaux dans les premiers jours après la naissance, une seule base

« Le numéro à 15 chiffres, c’est un peu le numéro d’assurance sociale de l’animal », illustre Marie-Christine Talbot, directrice générale d’ATQ.

de données multiespèc­es de même que l’inscriptio­n des naissances et des déplacemen­ts d’animaux à la base de données. Les animaux sont identifiés à l’aide d’une boucle électroniq­ue (RFID) et d’un panneau visuel. Ces identifian­ts portent un numéro unique de 15 chiffres, qu’on leur donne à la naissance et qui les suivra toute leur vie. « Le numéro à 15 chiffres, c’est un peu le numéro d’assurance sociale de l’animal », illustre Marie-Christine Talbot, directrice générale d’ATQ.

Chaque site se voit attribuer un numéro unique de sept chiffres. Ces sites, qui sont géopositio­nnés dans la base de données centrale, sont des fermes, mais aussi des pâturages, des sites d’encans, des abattoirs, des centres de pathologie ou de rassemblem­ent, des zoos, des stations d’évaluation génétique, etc.

Le système exige aussi que l’on déclare les déplacemen­ts des animaux. Le numéro d’identifica­tion de chaque animal, le numéro des sites ainsi que la date où l’animal a été déplacé sont consignés dans la base de données centrale, explique ATQ.

Au cours de l’année 2013-2014, la base de données d’ATQ a permis de répondre à plus de 65 000 appels et d’enregistre­r les transactio­ns de 19 316 producteur­s actifs, soit : 3 950 467 déclaratio­ns,13 258 commandes d’identifian­ts et d’accessoire­s et 822 866 identifian­ts vendus.

OEufs

Depuis juillet 2013, chaque oeuf produit au Québec est identifié par un code qui donne des informatio­ns précises au consommate­ur, notamment sa provenance (province et pondoir), le lieu où celui-ci a été lavé, miré, classé et emballé, ainsi que la date « meilleur avant ». L’oeuf est ainsi devenu le premier aliment à pouvoir être retracé, par voie réglementa­ire, jusqu’à l’assiette du consommate­ur.

« Nulle part ailleurs en Amérique du Nord la traçabilit­é de l’oeuf n’est assurée par un règlement s’appliquant à l’échelle d’un pays, d’une province ou d’un État », souligne la Fédération des producteur­s d’oeufs du Québec.

Porcs

Depuis le 1er juillet dernier, le système national de traçabilit­é des porcs est en vigueur. Ici aussi la traçabilit­é s’arrête à l’abattoir. Cette nouvelle réglementa­tion fédérale se base sur trois piliers : l’identifica­tion des sites de production, celle des porcs (tatouages ou étiquettes) de même que la déclaratio­n des déplacemen­ts des animaux d’un site à un autre dans un délai de sept jours. Tous les maillons de l’industrie porcine sont concernés. Le Conseil canadien du porc administre le système, baptisé PorcTracé Canada.

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La traçabilit­é peut aussi servir à valoriser le produit même si le numéro de naissance à 15 chiffres de l’animal ne se retrouve pas sur l’étiquette de la viande.
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Le système québécois se base sur l’identifica­tion permanente des animaux.

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