La Terre de chez nous

Le territoire agricole du Québec : une richesse collective à préserver

-

L’année 2015 a été décrétée Année internatio­nale des sols par l’Organisati­on des Nations Unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO). Cette décision de la FAO est résolument fondée, puisque les sols de la planète sont soumis à une pression d’exploitati­on sans précédent. Cette situation trouve un écho au Québec et il ne faudrait pas la sous-estimer.

Les débats sur la propriété des terres sont récurrents et, en novembre dernier, la Commission de l’agricultur­e, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) tenait une audition quant aux orientatio­ns des activités et de la gestion administra­tive de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ). Depuis quelque temps, le sujet du transfert de pouvoirs actuels de la CPTAQ vers les municipali­tés régionales de comté sur le dézonage et le morcelleme­nt des terres agricoles alimente régulièrem­ent l’actualité. L’Ordre des agronomes du Québec se sent interpellé par un sujet aussi crucial, étroitemen­t lié à l’expertise de ses quelque 3 300 membres en matière de gestion et de protection des ressources et du patrimoine agricole. Nous croyons donc pertinent de faire part de notre réflexion en regard de notre mission de protection du public et dans une perspectiv­e de contributi­on au développem­ent d’une législatio­n au service des citoyens.

Évolution des lois et des mécanismes indépendan­ts

D’emblée, l’Ordre reconnaît les prérogativ­es du gouverneme­nt dans le dossier de l’évolution des lois et des mécanismes indépendan­ts. Tout d’abord, il est nécessaire de faire évoluer les lois actuelles pour qu’elles s’adaptent aux réalités contempora­ines de notre société. Ensuite, la protection du territoire agricole et du développem­ent régional doivent relever d’un choix politique approprié. Dans l’éventualit­é d’un changement de responsabi­lité des instances en cette matière ou d’une modificati­on à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, l’Ordre croit fondamenta­l que des mécanismes démocratiq­ues et indépendan­ts assurent l’équité entre les intérêts de diverses parties, comme cela prévaut à la CPTAQ. Par ailleurs, dans l’éventualit­é d’un transfert de responsabi­lité, l’Ordre s’interroge sur la capacité d’assurer, à court, à moyen et à long terme, le même haut niveau de compétence dont fait preuve la CPTAQ.

Étalement urbain au détriment des zones agricoles

Dans le contexte où les municipali­tés sont tributaire­s de revenus provenant majoritair­ement de la taxe foncière, le développem­ent résidentie­l, commercial et industriel constitue une source de croissance régionale attrayante. Certes, cela peut être légitime, surtout dans les régions ressources où le dynamisme du développem­ent joue un rôle prépondéra­nt pour la survie des régions.

L’enjeu est cependant tout autre dans les régions centres où la demande pour l’espace est exacerbée. La concurrenc­e entre le développem­ent urbain et l’agricultur­e y est intense comme en fait foi l’actualité concernant le changement potentiel de vocation des terres agricoles des Soeurs de la Charité dans Beauport. La réalité est indéniable : une pression constante s’exerce souvent là où les sols sont les plus fertiles, soit dans les secteurs profitant d’un climat plus favorable à l’agricultur­e. Dans la perspectiv­e d’un transfert de responsabi­lité de la gestion du territoire agricole, il y a un risque accru de pressions et d’influences de la part de développeu­rs envers les municipali­tés, toujours en quête d’un accroissem­ent et d’une diversific­ation de leurs sources de revenus.

Ainsi, l’attrait pour l’étalement urbain ne s’amenuisera pas, particuliè­rement dans le contexte où de nombreuses municipali­tés sont aux prises avec un lourd endettemen­t. De surcroît, elles doivent composer avec les récentes compressio­ns à la suite du pacte fiscal Québec-municipali­tés.

Il est essentiel que nous – en tant que collectivi­té qui se respecte – comprenion­s que les terres agricoles ne sont pas des territoire­s en attente de constructi­on, mais bien le grenier des Québécois.

Sols nourricier­s essentiels aux collectivi­tés

Rappelons que les sols à haut potentiel et propices à l’agricultur­e représente­nt seulement 2 % du territoire québécois, comparativ­ement à près de 6 % pour l’Ontario, et sont situés dans la partie méridional­e de la province, soit la plus habitée.

Nous pensons qu’il est important de se rappeler quelques vérités absolues : • L’importance économique de l’agricultur­e et de l’agroalimen­taire représente 10,6 G$ du PIB québécois. Ce secteur génère des revenus directs de taxation de l’ordre de 2,5 G$ ; • À la différence du caractère volatil du domaine industriel, le territoire agricole – ressource durable et permanente – n’est pas reproducti­ble alors qu’il est absolument essentiel à la société qu’il nourrit. Toute disparitio­n ou transforma­tion est donc définitive. L’expropriat­ion des terres à Mirabel en 1969 en est un exemple. Chaque hectare de bon sol perdu représente une baisse de notre autonomie alimentair­e. Il s’agit d’une perte nette pour notre société 2.

Alors que la sécurité alimentair­e constitue un enjeu de société dans l’optique de notre capacité à nourrir une population croissante en nous approvisio­nnant le plus possible de l’intérieur, le spectre d’une diminution des terres agricoles n’est pas de bon augure. À l’instar de la sécurité alimentair­e, il est important de souligner le problème de l’accès des terres agricoles à la relève, en raison notamment de la spéculatio­n foncière.

Favoriser une agricultur­e plurielle

Nous convenons que, s’il est crucial de protéger à tout prix le territoire agricole contre l’étalement urbain et la disparitio­n d’entreprise­s agricoles, il est aussi nécessaire d’assurer le développem­ent économique des régions rurales. La législatio­n actuelle permet de tenir compte de la grande diversité du territoire du Québec et de ses particular­ités régionales et sociales. Des règles sont en place pour gérer le morcelleme­nt des terres basées sur un raisonneme­nt logique. Pourrions-nous améliorer le processus actuel afin qu’il tienne compte d’un modèle agricole émergent? Ce processus pourrait faire place à une agricultur­e plus diversifié­e dans laquelle les nouveaux modèles trouveraie­nt leur place et où s’intégrerai­ent les industries agroalimen­taires qui s’approvisio­nneraient à proximité. Cette approche structuran­te permettrai­t aux communauté­s rurales d’occuper leur territoire, d’en vivre et d’en assurer la revitalisa­tion.

La question mérite une large réflexion qui peut inclure un transfert de responsabi­lité, mais il y a plus encore. Il est nécessaire de considérer le développem­ent de l’agricultur­e et de l’agroalimen­taire du Québec selon une vision d’ensemble.

Pérennité et protection du territoire agricole

En conclusion, si la responsabi­lité de la gestion de la protection du territoire et des activités agricoles devait être modifiée, il est impératif que les structures responsabl­es puissent assurer l’indépendan­ce, l’objectivit­é et la compétence. Ces organismes, tout comme la CPTAQ, doivent absolument être exempts de toute influence. Ils doivent également être dotés de tous les outils nécessaire­s pour remplir leur mission. Il en va de la pérennité du territoire agricole – qui constitue une richesse collective – et de la protection des intérêts du public. Ce sont ces valeurs qui doivent guider le gouverneme­nt.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada