Maïs soufflé et autres incompréhensions envers les appellations réservées
Récemment, un économiste bien connu a critiqué dans divers médias la démarche des producteurs agricoles qui demandent la reconnaissance d’une indication géographique protégée (IGP) et, au passage, les décisions du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV). Entre autres, il laisse entendre que la reconnaissance de l’IGP maïs sucré de Neuville causerait « un préjudice à la Loi » et que « l’appareillage administratif pour soutenir ces produits spéciaux nécessite un marché qui outrepasse les frontières québécoises ». Je dois conclure que l’esprit de la Loi sur les appellations réservées et les termes valorisants (LARTV) n’est pas bien compris et qu’il est nécessaire d’en analyser la véritable portée. Permettez-moi d’y contribuer.
D’entrée de jeu, soulignons que cette loi est provinciale et que le CARTV exerce ses pouvoirs au Québec. Néanmoins, l’histoire montre que son influence dépasse les limites de notre province et contribue à faire rayonner les initiatives et les produits du Québec. Pour l’illustrer, pensons aux produits biologiques. En 2015, plus personne n’oserait remettre en question la demande pour ce type de denrées. Il est utile de rappeler que la norme biologique a d’abord été établie au Québec et que le CARTV est le « gardien » de cette appellation réservée. Il a fallu une dizaine d’années – et la pression des partenaires commerciaux du Canada – pour que le gouvernement fédéral adopte le Régime Bio-Canada, calqué sur le modèle québécois. Près de la moitié des provinces canadiennes sont maintenant dotées d’une loi provinciale pour encadrer l’appellation biologique sur leur territoire. Le Québec avait donc vu juste. Aujourd’hui, l’évolution de la production québécoise bio n’arrive pas à suivre la demande grandissante. Une part importante des produits biologiques que nous pourrions générer vient de l’extérieur. Il y a certainement des occasions d’affaires et des retombées économiques à engendrer dans nos régions. L’exportation n’est donc pas l’unique raison de soutenir le développement et la valorisation de nos produits distinctifs. Ensuite, ceux qui pensent que l’investissement public pour encadrer les appellations réservées est « disproportionné » par rapport à la valeur des productions visées doivent aussi prendre en considération les investissements privés des entreprises. En effet, les exploitations qui font certifier leurs produits pour répondre à des créneaux de marché spécifiques, par exemple le biologique, doivent respecter des contraintes de production strictes, payer les services d’un organisme de certification et faire leurs propres efforts de promotion. Les producteurs de maïs sucré de Neuville, pour ne nommer que ceux-là, investissent ensemble depuis des décennies pour développer et maintenir la notoriété de leur produit. Ils ont suscité la confiance de leurs clients et obtiennent une plus-value sur les marchés. Les risques d’usurpation et d’atteinte à leur réputation justifient leur demande de réservation d’une IGP. C’est une décision d’affaires.
Le CARTV a pour mandat de contrôler le travail des certificateurs indépendants et l’usage des appellations réservées pour en assurer la crédibilité. À bien y regarder, ce rôle fondamental, telle une pierre d’assise, est assez circonscrit et nécessite des investissements publics relativement minimes. Au moyen d’un « appareillage administratif » modeste, l’État contribue à protéger et à stimuler des investissements privés importants qui, de surcroît, s’inscrivent dans la durée.
L’IGP, un type d’appellation prévu par la Loi, constitue beaucoup plus qu’une simple vitrine pour attirer des touristes dans une région donnée. Elle freine carrément la délocalisation des systèmes qui produisent des aliments recherchés par les consommateurs et dont les qualités, incluant leur notoriété, sont liées à leur terroir. La Loi crée un droit de propriété intellectuelle exceptionnel, inaliénable et imprescriptible, qui sécurise des systèmes alimentaires que l’économie marchande, à elle seule, ne protège pas.
Enfin, la LARTV est un instrument juridique puissant, inspiré de l’Europe. Plusieurs économies émer- gentes, dont l’Inde et le Brésil, saisissent parfaitement la pertinence de cet outil et l’utilisent de plus en plus. À ce jour, le Québec est la seule province d’Amérique du Nord dotée d’une loi « sur mesure » pour encadrer les appellations réservées. Nous avons la possibilité d’être avant-gardistes. Ne décourageons pas les initiatives bien structurées et réjouissons-nous que la démarche des producteurs de maïs sucré de Neuville inspire, par exemple, les producteurs de bleuets du Lac-Saint-Jean.