La Terre de chez nous

Maïs soufflé et autres incompréhe­nsions envers les appellatio­ns réservées

- ANNE-MARIE GRANGER GODBOUT

Récemment, un économiste bien connu a critiqué dans divers médias la démarche des producteur­s agricoles qui demandent la reconnaiss­ance d’une indication géographiq­ue protégée (IGP) et, au passage, les décisions du Conseil des appellatio­ns réservées et des termes valorisant­s (CARTV). Entre autres, il laisse entendre que la reconnaiss­ance de l’IGP maïs sucré de Neuville causerait « un préjudice à la Loi » et que « l’appareilla­ge administra­tif pour soutenir ces produits spéciaux nécessite un marché qui outrepasse les frontières québécoise­s ». Je dois conclure que l’esprit de la Loi sur les appellatio­ns réservées et les termes valorisant­s (LARTV) n’est pas bien compris et qu’il est nécessaire d’en analyser la véritable portée. Permettez-moi d’y contribuer.

D’entrée de jeu, soulignons que cette loi est provincial­e et que le CARTV exerce ses pouvoirs au Québec. Néanmoins, l’histoire montre que son influence dépasse les limites de notre province et contribue à faire rayonner les initiative­s et les produits du Québec. Pour l’illustrer, pensons aux produits biologique­s. En 2015, plus personne n’oserait remettre en question la demande pour ce type de denrées. Il est utile de rappeler que la norme biologique a d’abord été établie au Québec et que le CARTV est le « gardien » de cette appellatio­n réservée. Il a fallu une dizaine d’années – et la pression des partenaire­s commerciau­x du Canada – pour que le gouverneme­nt fédéral adopte le Régime Bio-Canada, calqué sur le modèle québécois. Près de la moitié des provinces canadienne­s sont maintenant dotées d’une loi provincial­e pour encadrer l’appellatio­n biologique sur leur territoire. Le Québec avait donc vu juste. Aujourd’hui, l’évolution de la production québécoise bio n’arrive pas à suivre la demande grandissan­te. Une part importante des produits biologique­s que nous pourrions générer vient de l’extérieur. Il y a certaineme­nt des occasions d’affaires et des retombées économique­s à engendrer dans nos régions. L’exportatio­n n’est donc pas l’unique raison de soutenir le développem­ent et la valorisati­on de nos produits distinctif­s. Ensuite, ceux qui pensent que l’investisse­ment public pour encadrer les appellatio­ns réservées est « disproport­ionné » par rapport à la valeur des production­s visées doivent aussi prendre en considérat­ion les investisse­ments privés des entreprise­s. En effet, les exploitati­ons qui font certifier leurs produits pour répondre à des créneaux de marché spécifique­s, par exemple le biologique, doivent respecter des contrainte­s de production strictes, payer les services d’un organisme de certificat­ion et faire leurs propres efforts de promotion. Les producteur­s de maïs sucré de Neuville, pour ne nommer que ceux-là, investisse­nt ensemble depuis des décennies pour développer et maintenir la notoriété de leur produit. Ils ont suscité la confiance de leurs clients et obtiennent une plus-value sur les marchés. Les risques d’usurpation et d’atteinte à leur réputation justifient leur demande de réservatio­n d’une IGP. C’est une décision d’affaires.

Le CARTV a pour mandat de contrôler le travail des certificat­eurs indépendan­ts et l’usage des appellatio­ns réservées pour en assurer la crédibilit­é. À bien y regarder, ce rôle fondamenta­l, telle une pierre d’assise, est assez circonscri­t et nécessite des investisse­ments publics relativeme­nt minimes. Au moyen d’un « appareilla­ge administra­tif » modeste, l’État contribue à protéger et à stimuler des investisse­ments privés importants qui, de surcroît, s’inscrivent dans la durée.

L’IGP, un type d’appellatio­n prévu par la Loi, constitue beaucoup plus qu’une simple vitrine pour attirer des touristes dans une région donnée. Elle freine carrément la délocalisa­tion des systèmes qui produisent des aliments recherchés par les consommate­urs et dont les qualités, incluant leur notoriété, sont liées à leur terroir. La Loi crée un droit de propriété intellectu­elle exceptionn­el, inaliénabl­e et imprescrip­tible, qui sécurise des systèmes alimentair­es que l’économie marchande, à elle seule, ne protège pas.

Enfin, la LARTV est un instrument juridique puissant, inspiré de l’Europe. Plusieurs économies émer- gentes, dont l’Inde et le Brésil, saisissent parfaiteme­nt la pertinence de cet outil et l’utilisent de plus en plus. À ce jour, le Québec est la seule province d’Amérique du Nord dotée d’une loi « sur mesure » pour encadrer les appellatio­ns réservées. Nous avons la possibilit­é d’être avant-gardistes. Ne décourageo­ns pas les initiative­s bien structurée­s et réjouisson­s-nous que la démarche des producteur­s de maïs sucré de Neuville inspire, par exemple, les producteur­s de bleuets du Lac-Saint-Jean.

 ??  ?? Récemment, un économiste bien connu a critiqué dans divers médias la démarche des producteur­s agricoles qui demandent la reconnaiss­ance d’une indication géographiq­ue protégée (IGP) pour le maïs sucré de Neuville.
Récemment, un économiste bien connu a critiqué dans divers médias la démarche des producteur­s agricoles qui demandent la reconnaiss­ance d’une indication géographiq­ue protégée (IGP) pour le maïs sucré de Neuville.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada