Des voleurs organisés, mais négligents
TROIS-RIVIÈRES — Parce que le camionneur Sébastien Jutras a plaidé coupable à des accusations de vol et de complot, plusieurs détails relatifs au plus important vol jamais commis au Québec ont été rendus publics. En effet, le procureur de la poursuite, Me Julien Beauchamp-Laliberté, a dévoilé une grande partie de l’enquête devant la juge Dominique Slater le vendredi 13 novembre, au palais de justice de Trois-Rivières.
Un entrepôt loué
Au printemps 2011, la Fédération des producteurs acéricoles du Québec loue un espace de 18 000 pi2 dans un vaste entrepôt de Saint-Louis-de-Blandford pour emmagasiner plus de 16 000 barils de 45 gallons de sirop.
L’immeuble est la propriété d’une compagnie à numéro dont l’un des trois actionnaires est Josée Lamothe, la conjointe d’Avik Caron, qui dirige l’entrepôt. M. Caron fournit d’ailleurs du personnel pour la manutention des barils à empiler dans ce dernier. Pour assurer la sécurité des lieux, le gardien Sylvain Bourassa réside dans un logement sur place et effectue des rondes de surveillance soir et matin. Bourassa est maintenant accusé de vol.
Un plan élaboré
Caron flaire la bonne affaire devant la quantité impressionnante de sirop dans son immeuble. Il lui faut toutefois quelqu’un pour écouler la marchandise. Le camionneur Sébastien Jutras, qui possède la compagnie de transport Sebastian Express à Bécancour, lui organise alors une rencontre au restaurant Madrid avec Richard Vallières, un individu reconnu pour l’achat et la vente de sirop en dehors du cadre réglementaire (du plan conjoint et de la convention de mise en marché du sirop).
Pour éviter tout soupçon, les brigands se procurent 104 barils vides, soit la quantité pouvant entrer dans un camion de 53 pi, auprès d’une entreprise de la Beauce et les font peindre aux couleurs des barils de la Fédération. Cette cou- leur bleue vraiment particulière n’étant pas offerte sur le marché, Caron doit commander de la peinture similaire chez un marchand de Victoriaville.
Le premier vol serait survenu à la fin de l’été 2011. Les barils volés auraient été transportés jusqu’à l’érablière du père de Richard Vallières, Raymond (coaccusé), située à Saint-Adalbert dans le comté de L’Islet, une municipalité située près de la frontière du Maine et du Nouveau-Brunswick.
À l’érablière, les barils sont vidés et remplis d’eau pompée dans un petit lac adjacent pour être ensuite retournés à Saint-Louis-de-Blandford, où ils doivent remplacer les prochains barils de sirop volés.
À l’approche de l’hiver, comme le petit lac est sur le point de geler, un autre camionneur est mis à contribution, Richer Dinelle, qui possède une compagnie de transport à Laval du nom de Pro Star Logistic. Ce dernier loue un entrepôt sur la rue Sherbrooke Est à Montréal pour continuer de transvider le contenu des barils volés. Dinelle a plaidé coupable en mai dernier et a écopé d’une peine d’un an de prison en plus de se voir saisir plusieurs de ses biens. Il a alors admis avoir loué cet entrepôt pour 10 000 $ par mois pendant trois mois et avoir fait du transport de barils de SaintLouis-de-Blandford à Montréal.
Une fourmilière
Plus tard, pour économiser du temps, le sirop est transvidé directement à Saint-Louis-de-Blandford, et ce, durant la nuit. Un tuyau permet de remplir d’eau un baril de 45 gallons en moins d’une minute. Mais il fallait des contenants, beaucoup de contenants. Plusieurs réservoirs de 1 000 litres sont donc achetés usagés, sans aucune garantie de salubrité, pour y recevoir le sirop volé. C’est dans un bâtiment situé dans le quartier Saint-Nicolas à Lévis que le sirop est bouilli pour permettre sa conservation. Un des employés chargé de bouillir le sirop transvidé, Martin Proulx, doit recevoir sa sentence en décembre prochain.
Nouveau-Brunswick, Vermont
Pour revenir au camionneur, Sébastien Jutras, il a admis avoir fait plusieurs livraisons de barils de sirop au Nouveau-Brunswick, en Ontario ainsi que dans le Vermont et au New Hampshire. Des documents douaniers prouvent ses déplacements.
Les policiers ont découvert qu’il avait reçu de Richard Vallières des virements bancaires totalisant 521 443 $ et des sommes en argent liquide. Jutras a été condamné à purger 42 mois de prison en plus de se faire saisir ses camions et remorques. Son père Gaétan, qui était simplement chauffeur de camion, mais au fait du crime, a reçu une sentence de 18 mois de prison à purger dans la collectivité. Les accusations de fabrication de faux documents contre la mère de Sébastien, Lyne Pépin, ont été retirées.
La semaine prochaine, la Terre présentera la manière dont le vol a été constaté et les détails de l’enquête.