La Terre de chez nous

Bayer-Monsanto : une fusion qui nous concerne tous

- MARCEL GROLEAU Président général de l’Union des producteur­s agricoles

L’acquisitio­n récente de Monsanto, géant mondial des biotechnol­ogies agricoles, par la société allemande Bayer, a fait beaucoup jaser ces dernières semaines. D’abord à cause du montant exorbitant de ce rachat : 66 G$ US. Selon Reuters, il s’agit de la plus importante acquisitio­n jamais conclue, devant celle qui a vu le brasseur InBev acheter Anheuser-Busch pour 60,4 G$ US, en 2008.

Ensuite parce que cette transactio­n concentre davantage les grandes multinatio­nales et augmente leur contrôle sur notre garde-manger. Avant la transactio­n, Bayer et Monsanto détenaient respective­ment 20 % et 9 % des parts de marchés mondiaux des produits phytosanit­aires. Monsanto était cependant leader dans les semences. Avec la fusion, la nouvelle entité devient de facto le numéro un mondial des semences et des pesticides, avec un chiffre d’affaires annuel de 26 G$ US. À titre de comparaiso­n, les ventes de Dow-DuPont et de ChemChina (incluant Syngenta) en 2015 étaient respective­ment de 15 G$ US et de 17,5 G$ US. À eux trois, ces géants détiendron­t plus de 50 % du marché mondial.

Cette transactio­n est à l’image d’une série de fusions et d’acquisitio­ns ces dernières années. Les multinatio­nales dans plusieurs secteurs d’activité disposent de sommes colossales. Elles sont toutes à l’affût d’acquisitio­ns qui permettent d’augmenter leur capitalisa­tion tout en sécurisant leur rendement. Leur objectif : occuper une position dominante sur le marché en éliminant la concurrenc­e. Selon une étude d’A.T. Kearney, les fusions et les acquisitio­ns dans l’industrie chimique mondiale ont connu une progressio­n de 30 % en 2015 et pourraient doubler en 2016. Je pense notamment à la fusion récente des deux géants canadiens PotashCorp et Agrium. Ou encore à la fusion de Dow Chemical et de DuPont, en 2015, et à l’achat de Syngenta AG par le groupe chinois ChemChina, en début d’année.

Les conséquenc­es de ces consolidat­ions, en amont et en aval de la production, risquent d’être importante­s. À l’échelle mondiale, les secteurs de la fourniture d’intrants agricoles (alimentati­on animale, machinerie et équipement­s, semences, engrais et pesticides), de la première transforma­tion (abattage, commercial­isation des grains), de la distributi­on et du détail sont de plus en plus concentrés et intégrés verticalem­ent. De moins en moins d’intervenan­ts ont de plus en plus d’emprise sur les 1,5 milliard d’agriculteu­rs et les 7 milliards d’êtres humains qui doivent se nourrir chaque jour.

Les intrants agricoles sont nécessaire­s. La demande pour ces produits est en croissance et, en pratique, incompress­ible, car on peut difficilem­ent les remplacer. Une demande forte et un nombre limité de fournisseu­rs entraînero­nt une pression à la hausse sur le prix de ces intrants, qui sera ultimement refilée aux consommate­urs. L’impact sur le prix du panier d’épicerie sera bien réel. Or, les prix des aliments s’accroissen­t déjà plus vite que l’inflation. De 2007 à 2012 au Canada, ils ont en effet augmenté plus rapidement que ceux de toute autre composante principale de l’Indice des prix à la consommati­on (IPC). Leur hausse cumulée a été de 19 %, alors que la progressio­n cumulée de l’IPC d’ensemble (excluant les aliments) s’est chiffrée à 10,7 %. Au cours de cette période, les prix des aliments ont augmenté en moyenne de 3,5 % par année, comparativ­ement à 2,1 % pour l’IPC d’ensemble.

On peut aussi craindre une perte accrue au regard de la diversité alimentair­e. L’Organisati­on des Nations unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO) estime qu’environ les trois quarts de la diversité génétique des plantes cultivées ont disparu au cours du XXe siècle. À l’heure actuelle, l’essentiel de l’alimentati­on humaine, au niveau planétaire, repose sur seulement 12 espèces végétales et 14 espèces animales.

Toutes ces données sont inquiétant­es et portent à réfléchir. Qui détiendra le pouvoir de nourrir le monde et d’assurer notre sécurité alimentair­e? Comment les États pourront-ils encadrer ces oligopoles? Comment les priorités de recherche pour les nouveaux cultivars seront-elles déterminée­s? Cette vague de fusions soulève plusieurs questions fondamenta­les et ça nous concerne tous.

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