La Terre de chez nous

D’un marché saturé à un autre, quelle logique?

- Michel Henin Producteur de lait Sainte-Élisabeth, Lanaudière

Quand allons-nous comprendre que vouloir exporter nos produits sur des marchés déjà autosuffis­ants ou même saturés ne profite en rien aux producteur­s, qu’ils soient européens, canadiens, américains, australien­s ou de n’importe où?

Quand allons-nous cesser de faire confiance à de pseudo-défenseurs des agriculteu­rs qui, consciemme­nt ou inconsciem­ment, nous poussent à toujours produire plus pour combler des marchés d’exportatio­n présentés comme un Eldorado, avec pour conséquenc­e d’entraîner les prix aux producteur­s toujours plus vers le bas? À ce jeu, la plupart se croient plus malins que les autres et croient que leur efficacité, leur volume, leur savoir-faire, etc., vont leur permettre de compétitio­nner l’autre même chez lui, dans son propre pays, à des milliers de kilomètres. Quel producteur peut penser une seconde que de faire mourir un autre producteur va lui permettre d’améliorer son sort? Le seul sort qui va s’améliorer est celui des grands cartels de l’alimentati­on, qu’ils soient de la viande, du lait ou je ne sais de quels autres secteurs.

Par l’entremise de nos représenta­nts politiques et parfois même syndicaux, les industriel­s font croire aux Canadiens qu’ils vont pouvoir, par exemple, exporter de la viande sur le marché européen. Et ces mêmes industriel­s font croire aux Européens qu’ils vont pouvoir exporter sur le marché canadien. De qui se moque-t-on? Sommes-nous tous devenus aveugles? La surproduct­ion permet juste à une extrême minorité d’engranger toujours plus de profits en se procurant la matière première toujours moins cher, tout en réduisant toujours plus les agriculteu­rs à l’asservisse­ment.

Il est grand temps que les producteur­s se parlent et soient solidaires les uns des autres, de quelque pays qu’ils soient. De tout temps, les échanges commerciau­x logiques les ont bien servis et ça doit continuer. Jamais on ne fera pousser de bananes au Canada ou en Europe. Mais pourquoi envoyer de la viande des parcs d’engraissem­ent saturés de l’Alberta vers la Belgique, berceau du Blanc bleu belge, dont le marché est également saturé, ou vice-versa?

Pourquoi envoyer du fromage de l’Europe vers le Canada, où la variété et la qualité sont excellente­s, tout en faisant croire aux Canadiens qu’ils vont pouvoir écouler leur montagne de poudre de lait vers l’Europe ou ailleurs, en acceptant une clause où ils vont appliquer le prix le plus bas de n’importe quel pays au monde? Comme si les autres pays n’en avaient pas déjà assez... Le seul but est de tirer les prix toujours plus vers le bas!

Et si l’on parlait des normes, les fameuses normes, celles qui permettent d’exporter chez les autres, mais qui ne permettent à personne d’aller sur son marché et qui donnent un sentiment d’invulnérab­ilité? Le problème, c’est qu’à peu près tous les producteur­s du monde se font dire la même chose.

Wake up! Réveillons-nous! Les producteur­s de partout doivent se conscienti­ser, être solidaires et se parler plutôt que de se croire plus brillants que les autres. C’est une question de survie.

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