La Terre de chez nous

Ma relève n’a pas ce qu’il faut

- NANCY LANGEVIN, T.S. Travailleu­se de rang dans Chaudière-Appalaches GINETTE LAFLEUR Doctorante en psychologi­e communauta­ire à l’UQAM

Plusieurs producteur­s et productric­es développen­t leur entreprise agricole dans l’espoir de pouvoir la transférer un jour à l’un de leurs enfants. Qu’arrive-t-il lorsqu’on constate au fil du temps que celui qui a levé la main pour dire « je suis intéressé » n’a pas les compétence­s pour assurer la pérennité de l’entreprise? Doit-on obligatoir­ement opter pour une relève familiale, quelle qu’elle soit? Quelles options s’offrent à nous? Continuer d’être à la barre et retarder le transfert le plus longtemps possible? Si oui, à quel prix?

Claire et André*, dont nous avons obtenu le témoignage, ont été associés dans une entreprise agricole jusqu’à sa vente il y a quelques années. Quand nous leur avons demandé s’ils songeaient déjà à la relève familiale lorsqu’ils ont développé leur entreprise, Claire nous a répondu : « Moi, non, probableme­nt parce que je ne viens pas de l’agricultur­e. Je le faisais avant tout parce que je voulais réaliser un défi en tant que femme. » Quant à André, qui vient du milieu agricole, il a admis qu’il caressait cet espoir.

Ils ont préparé leur sortie de longue date. Avec l’aide d’un Centre régional d’établissem­ent en agricultur­e (CRÉA), ils ont réuni tous leurs enfants pour sonder leur intérêt à prendre la relève. Comme ils recherchai­ent des compétence­s et des forces où qu’elles soient, ils ont également fait de même avec des employés de confiance. Un seul de leurs enfants a répondu par l’affirmativ­e.

Cependant, ils se sont progressiv­ement rendu compte que celui-ci n’avait pas ce qu’il fallait pour relever le défi. Il n’était pas dénué de talents, loin de là, mais il n’avait pas les qualités nécessaire­s pour faire prospérer l’entreprise. Comme l’a dit Claire : « Il manquait des branches après son arbre, sans compter qu’il avait des problèmes de santé. »

André a renchéri : « Oui, il se débrouilla­it relativeme­nt bien en production, mais tout le reste, la gestion, la mise en marché, les investisse­ments, la gestion d’employés, les relations humaines, on oublie ça… »

Un contrat à vie

Incapable de dissocier son rôle de mère et celui d’associée, Claire était minée émotionnel­lement par les difficulté­s de « son enfant ». Elle croyait en outre que s’ils avaient maintenu ce choix d’une relève familiale, cela aurait représenté un contrat à vie. « Il aurait toujours eu besoin de nous », a-t-elle mentionné.

Ayant toujours su bien s’entourer d’excellents conseiller­s et coachs, pour eux-mêmes comme pour leur entreprise, les producteur­s ont bien essayé de mieux outiller leur relève. Malgré tout, Claire ne pouvait s’empêcher de se dire : « Ne lui mets pas ça dans les mains, ce n’est pas bon pour lui. »

Décision difficile

La décision de dire « on ne veut pas » à leur fils a été très difficile à prendre sur le plan humain. Claire et André ont même consulté pour confirmer cette impression « que leur relève n’avait pas le bois pour faire la job ».

Après avoir bien réfléchi et reçu des conseils de personnes de confiance, ils ont pris la décision rationnell­e de transférer la ferme à des étrangers pour le bien de leur fils, leur propre bien et celui de l’entreprise. Ils constatent aujourd’hui que c’était la meilleure décision pour tout le monde.

Par ailleurs, ils ont la fierté de voir « fleurir » l’entreprise qu’ils ont créée. « Même si ce n’est pas dans la famille, je vois l’entreprise s’épanouir », s’est réjoui André.

* Prénoms fictifs

« Il n’était pas dénué de talents, loin de là, mais n’avait pas les qualités nécessaire­s pour faire prospérer l’entreprise. »

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