« L’apocalypse laitière » transforme les paysages ruraux du Wisconsin
Soumise aux aléas du libre-marché, la production laitière américaine est secouée par une crise historique. Les conséquences graves vécues par les producteurs du Wisconsin constituent des exemples de ce qui pourrait se passer au Québec si le système de ges
BANGOR — « L’apocalypse laitière » qui frappe le Wisconsin transforme rapidement les paysages ruraux de cet État, dont la moitié de l’économie dépend de la production de lait.
Elizabeth Schlintz, Liza pour les intimes, nous invite à prendre place dans son bureau de la Farmers
State Bank. La directrice de comptes agricoles est aux premières loges de la crise qui secoue la production laitière du Wisconsin. « Tous les éleveurs que je connais songent actuellement à quitter la production. Tous, sauf mon mari », ironise-t-elle. La veille de notre rencontre, une de ses clientes et amies du réseau des « Dairy Moms » a vu ses vaches partir en camion.
« C’est une véritable apocalypse laitière », assure la banquière. Son employeur refuse actuellement de prêter plus d’argent aux éleveurs et n’accepte que les restructurations de dettes. « Les quantités de dettes qui sont refinancées en hypothéquant les actifs vont rendre impossible le transfert à la relève », constate-t-elle. Pour ceux qui liquident, le niveau de capitaux est tellement érodé qu’il ne reste rien pour la retraite. D’ailleurs, les données du département américain de l’Agriculture indiquent que le revenu net des fermes du Wisconsin a fondu de 48 % entre 2012 et 2016.
Chez les producteurs, la vente de leur entreprise est vécue comme un dur échec. « C’est un sujet très délicat pour eux parce que la ferme est partie prenante de la famille », confirme Liza.
Son mari et elle perpétuent la tradition laitière de leurs deux familles respectives. «Tout mon arbre généalogique est constitué de producteurs de lait. Ce qui m’attriste profondément, c’est que mes enfants seront probablement la première génération à ne pas l’être », confie la mère de deux enfants.
En voie de disparition
Devant l’ampleur de la crise, la jeune trentenaire n’a pas hésité à écrire au secrétaire à l’Agriculture du Wisconsin. Elle voulait dénoncer le manque de filet de sécurité pour les agriculteurs en période de bas prix. « Le Farm Bill ne fonctionne pas. La volatilité des marchés doit être corrigée », martèle la banquière.
La crise laitière métamorphose le paysage du Wisconsin. « Promenez-vous dans les rangs et vous verrez des étables vides un peu partout. Les fermes familiales seront peut-être chose du passé au cours des prochaines années si rien n’est fait pour les préserver », s’inquiète Liza.
Le président des Family Farm Defenders, Joel Greeno, constate cette dévitalisation rurale. Récemment, il a vu ses voisins, Dan et Jared, quitter la production. « Chez Bob aussi, l’étable est vide. » Il y a 20 ans, Joel dénombrait 27 fermes laitières sur son rang. Il n’en reste plus que deux. « Je suis vraiment inquiet. Presque tous les locaux commerciaux sont vides dans mon village. Et l’école a été fermée il y a quelques années », conclut l’agriculteur.
« La disparition d’une ferme n’est jamais une bonne nouvelle pour une communauté rurale. Les petites fermes soutiennent les petites villes. » – Joel Greeno, président des Family Farm Defenders