La Terre de chez nous

Se faire le cadeau d’aller chercher de l’aide

- NANCY LANGEVIN, T.S. Travailleu­se de rang dans Chaudière-Appalaches GINETTE LAFLEUR Doctorante en psychologi­e communauta­ire à l’UQAM

On dit des agriculteu­rs qu’ils sont peu enclins à demander de l’aide, notamment quand leur moral est à zéro. Pourtant, des producteur­s dont la vie a été transformé­e, et même sauvée, par des intervenan­ts en santé psychologi­que, il y en a plusieurs. Jacques*, pomiculteu­r, est de ceux-là. Il avait « frappé son Waterloo », comme il le dit lui-même. Au bout du rouleau, voyant tout en noir, il s’est présenté à un CLSC en ne sachant pas trop ce qu’il allait faire là. « Ben, crime, y a une madame là-bas qui m’a sauvé la vie! » nous confie-t-il.

Tout commence lorsque Jacques prend la relève de la ferme familiale. Il se met une forte pression sur les épaules et ne s’accorde aucun droit à l’erreur. « Je passais des nuits sans dormir tellement je voulais bien faire. Un patrimoine depuis 1925, je n’avais pas le droit de perdre ça. Je ne pouvais pas manquer mon coup! » Manque de chance, Jacques succède à son père lors de très mauvaises années dans les pommes. « Quand ça a été mon tour, ça s’est mis à tellement mal aller! »

Obligé d’avoir recours au Programme d’assurance stabilisat­ion des revenus agricoles (ASRA), il voit cela comme une illustrati­on de son incapacité à être aux commandes de l’entreprise, plutôt qu’une protection à laquelle il a légitimeme­nt droit. « Je me disais : “Je suis même pas capable de gagner ma vie; je suis obligé d’avoir un chèque, comme un chèque de BS.” Ça m’a assommé! » La déveine se poursuit lorsqu’on lui demande de détruire une partie de son patrimoine en raison d’une surproduct­ion. « Moi, comme pomiculteu­r, on m’a payé pour arracher mes pommiers! »

Ces éléments stressants contaminen­t sa vie de couple. « Je n’arrivais même pas à rendre ma femme heureuse. […] Tu sais, quand t’as un compte à payer pis tu checkes pour pas faire de chèque sans fonds… » Comme son moral est grandement affecté, Jacques trouve du réconfort dans l’alcool, ce qui envenime davantage la relation avec sa conjointe, qui finit par le quitter.

Malheureux comme la pierre, il lance un SOS et son appel est entendu par une psychologu­e de son CLSC. Au fil des 10 sessions de psychothér­apie auxquelles il a accès gratuiteme­nt, il remonte doucement la pente. À la fin de ces rencontres individuel­les, sa psychologu­e lui recommande de participer à une fin de semaine en groupe, ce qui ne l’enchante pas, loin de là. Toutefois, sa décision d’y participer s’avérera extrêmemen­t bénéfique. « J’ai donc rechigné contre une fin de semaine intensive en groupe, j’voulais donc pas. Ça a été le plus beau cadeau de ma vie… »

Sa psychothér­apie lui a fait entre autres réaliser qu’on doit prendre soin de soi si on veut être en mesure de prendre soin des autres. « Comment tu peux aider ou protéger tes enfants quand t’es à moitié vivant? » Il ne laisse plus personne lui faire du mal. Il vit davantage le moment présent, plutôt qu’anticiper des scénarios catastroph­es, et est plus tolérant envers lui-même. « C’est normal de faire des erreurs quand on fait plein d’affaires. Si je ne faisais rien, je ne ferais pas d’erreurs. »

Aujourd’hui, pleinement heureux, il comprend ce que son oncle de 92 ans lui avait dit : « Tu sais un homme, ça peut tomber, mais la plus grande réussite, c’est de se relever… »

*Prénom fictif

« Un homme, ça peut tomber, mais la plus grande réussite, c’est de se relever. »

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