L’asclépiade et la beauté du monde!
Vous l’avez peut-être vu aux nouvelles : l’entreprise de transformation d’asclépiade, dont j’étais l’un des promoteurs, a fermé ses pertes récemment. Est-ce une catastrophe? Non. Est-ce capotant pour le portefeuille? Euh… avant de répondre à cette question, permettez la mise en contexte.
D’abord quelques mots sur cette culture singulière : fibre naturelle aux capacités isolantes exceptionnelles, plante favorable aux papillons monarques, culture adaptée aux régions éloignées, elle offre un potentiel immense. Le célèbre magasine Paris Match en a d’ailleurs fait un reportage dithyrambique. Même le New
York Times y est allé d’un article élogieux. Alors, me direz-vous, pourquoi ça n’a pas marché?
D’abord, les clients, nombreux et prestigieux, tous emballés qu’ils étaient au départ, après les ho! et les ha! de circonstance, ont déposé leurs exigences non négociables : le prix devait être compétitif et comparable à l’isolant de duvet, à défaut de se rapprocher de la fibre synthétique. Or, la seule façon d’obtenir ce genre de prix requérait une masse critique, c’est-à-dire un rendement à l’hectare très élevé, une capacité de récolte automatisée et de grandes superficies. Trois conditions qui, dans cette industrie naissante, n’étaient pas encore au rendez-vous.
Ensuite, il aurait fallu une filière mieux organisée surtout du côté de la production et du regroupement de l’offre, car l’asclépiade est une plante capricieuse : il faut la récolter rapidement, la sécher convenablement, l’entreposer correctement et la transporter efficacement. Une logistique qui exige un niveau de sophistication que l’on retrouve dans les filières de maïs, de soya et de céréales traditionnelles. Tout est à faire, tout est à organiser. Et c’est un secret de polichinelle : sous-capitalisée et sans ressources chevronnées, la coopérative de producteurs a été incapable d’assumer ce rôle.
Bref, le développement d’une nouvelle filière est par définition risqué. C’est ici qu’interviennent le si bien nommé « capital de risque » et les fameux « dragons » : des entrepreneurs inspirés, des agriculteurs visionnaires, des créatifs, des aventuriers, mais aussi des marginaux et des rêveurs qui revendiquent le droit de faire autrement et de créer de la richesse et du bonheur.
Pour revenir [aux questions de départ], oui, ça défrise un peu, mais aucun souci pour le portefeuille. Lorsqu’on décide de s’impliquer financièrement dans des entreprises en démarrage – et de surcroît dans le domaine agricole – les investisseurs avisés savent que le taux d’échec de ces dernières est de 60 %. Six sur dix : pensez-y! Une statistique incroyablement affligeante.
Mais les boeufs sont lents et la terre est patiente. Ce n’est pas le sauve-qui-peut qu’on imagine : les quatre exploitations subsistantes vont largement compenser ma peine, car l’agriculture du Québec, malgré tous les fins finauds qui prédisent son déclin inexorable, offre encore et toujours des opportunités étonnantes. Claude Lafleur, agronome