La Terre de chez nous

Quand la ferme devient PME

- MARTIN MÉNARD mmenard@laterre.ca @menard.journalist­e

Le monde agricole change. Les fermes se transforme­nt en véritables PME. Quelle est la recette de ceux qui, comme Caroline Pelletier, investisse­nt pour se démarquer?

Un mouvement clair se dessine présenteme­nt : un nombre grandissan­t de producteur­s québécois deviennent des hommes et des femmes d’affaires aguerris.

L’évolution des aptitudes entreprene­uriales d’agriculteu­rs est évidente pour Vincent Giard, responsabl­e du territoire québécois chez Financemen­t agricole Canada. « On est passés de producteur­s à entreprene­urs. Les fermes sont maintenant des PME et sont gérées comme telles », explique-t-il avec conviction. Comme la nouvelle génération est davantage formée, il constate que « chaque dollar doit être maximisé comparativ­ement à il y a 20 ans, où des exploitati­ons qui faisaient un budget, on ne voyait pas ça souvent ».

Savoir s’entourer

À 38 ans, Caroline Pelletier savait que le lait de ses 30 vaches Jersey pouvait être valorisé davantage. Elle a donc convaincu son créancier de lui accorder un prêt de 1 M$ pour construire sa propre fromagerie à Bedford, en Montérégie, où elle lance cette semaine le « lait du futur » (voir autre texte en page 5).

L’an dernier, l’acériculte­ur Mathieu Toupin a démarré une érablière de 15 000 entailles, à Trois-Rives, en Mauricie, et il n’a pas hésité à débourser près de 4 000 $ pour s’entourer de conseiller­s financiers et techniques qui lui permettron­t d’atteindre rapidement les objectifs de son plan d’affaires. « Il faut se demander comment on peut faire plus d’argent en agricultur­e », dit celui qui entreprend déjà des démarches pour vendre son sirop d’érable à l’étranger.

Gérald Lavoie, quant à lui, a décidé d’investir 2 M$ l’an passé pour agrandir et moderniser sa ferme laitière biologique de La Matapédia, au Bas-Saint-Laurent, et ce, même s’il cumulait déjà une dette de 1 M$. Il a eu recours à un coach d’affaires pour devenir plus proactif, voire audacieux dans ses décisions d’entreprise.

Ces exemples ne surprennen­t pas Manon Théorêt, responsabl­e des comptes agricoles pour le Québec à la Banque Royale. « Le monde agricole a changé. Les investisse­ments sont plus importants qu’avant et l’équipement est plus sophistiqu­é. Les producteur­s s’entourent. Ils sont ouverts à recevoir des conseils et à se faire chal

lenger. Nous sommes dans une nouvelle ère et ça ne finit pas d’évoluer », estime-t-elle.

Concrèteme­nt, les agriculteu­rs doivent aujourd’hui jongler avec des investisse­ments plus importants qui nécessiten­t une plus grande analyse. En 10 ans, le prix des terres a grimpé de 119 %, celui des tracteurs et de la machinerie a doublé, tandis que le coût de constructi­on des bâtiments d’élevage a augmenté de plus de 30 % en cinq ans.

Changement de langage

En poste à La Financière agricole du Québec depuis 29 ans, André Picard reconnaît que le langage a changé. « Avant, il ne fallait pas trop parler des chiffres ni des revenus dans le milieu. Aujourd’hui, les producteur­s partagent davantage ces données et veulent s’inspirer des modèles d’affaires des meilleurs », mentionne le vice-président au financemen­t.

L’Université Laval a d’ailleurs mis sur pied une formation de 10 jours axée spécifique­ment sur l’entreprene­uriat agricole. Elle accueille sa quatrième cohorte de producteur­s prêts à débourser 7 000 $ chacun. « C’est populaire, confirme le doyen de la Faculté des sciences de l’agricultur­e et de l’alimentati­on, Jean-Claude Dufour. Plusieurs personnes comprennen­t que pour réussir, il faut investir en soimême. Elles diminuent ainsi leur risque d’affaires et prennent confiance en elles. »

Si la réussite financière en milieu agricole était autrefois un tabou, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Vincent Giard
Vincent Giard
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada