La Terre de chez nous

Le deuil déchirant de la maternité

- NANCY LANGEVIN, T.S. Travailleu­se de rang dans Chaudière-Appalaches GINETTE LAFLEUR Doctorante en psychologi­e communauta­ire à l’UQAM

Anne-Sophie a longtemps attendu avant de rencontrer sa tendre moitié. Voilà qu’un jour elle trouve la perle rare et, cerise sur le gâteau, il a une ferme. Philippe a toutes les qualités qu’elle recherche. « Check, check, check », comme aurait dit Gabriel, de L’amour est dans le pré. Ils tombent amoureux. Avec le temps se dessine cependant une ombre au tableau : Anne-Sophie caresse le rêve d’être mère depuis son enfance et Philippe, qui a déjà des enfants et une relève, a comblé ce besoin. Alors que faire?

Faire le deuil de la maternité n’est pas facile pour AnneSophie, d’autant plus qu’elle réside dans un milieu agricole où les valeurs familiales sont très importante­s. D’ailleurs, la moyenne d’enfants par famille y est presque deux fois plus élevée que celle des autres ménages québécois. « Je vois agir Philippe avec ses enfants dans son quotidien agricole selon ses valeurs familiales, et ça renforce dans mon désir d’en avoir avec lui », écrit Anne-Sophie. « Renoncer au développem­ent d’un ou d’une mini Anne-Sophie–Philippe dans ce cadre de vie idéal, c’est le plus dur », poursuit-elle. La productric­e vit un profond sentiment d’injustice. « Pourquoi, dois-je choisir entre être avec celui que j’aime ou avoir un enfant seule? Pourquoi je ne peux pas avoir les deux comme tout le monde? »

Lorsque sonne le coucou de l’horloge biologique, il n’est pas rare que le souhait d’avoir un enfant devienne tout à coup une priorité, même chez celles n’en ayant pas vraiment ressenti le besoin auparavant. Il peut cependant s’exprimer avec encore plus de véhémence chez celles qui en désiraient depuis toujours. Quand le conjoint n’est pas au diapason à ce sujet, il est fréquent qu’il en résulte des tensions pouvant affecter l’harmonie du couple. « J’ai encore à convaincre Philippe de l’envie d’avoir des enfants présente en moi. Il est tanné d’en parler, alors que moi j’ai besoin d’en discuter, car je n’ai pas eu un non officiel. » Anne-Sophie ne peut lâcher prise puisque ce que dit Philippe n’est pas clair. Nous avons déjà entendu cette expression qui semble résumer les réticences de celui-ci : « Un passé qui verrouille la paternité. » L’agriculteu­r a dans ses bagages les factures psychologi­ques et financière­s d’un divorce avec des enfants. « Chat échaudé craint l’eau froide », dit le proverbe. « C’est frustrant de ne pas avoir de contrôle sur ce bout-là, sur les expérience­s négatives avant moi, sur ce qui ne m’appartient pas », raconte Anne-Sophie.

Est-ce que l’ambiguïté de Philippe traduit autre chose? Hésite-t-il encore ou n’ose-t-il pas dire clairement à AnneSophie qu’il ne veut pas agrandir la famille? Le producteur doit s’expliquer franchemen­t avec Anne-Sophie, qui doit aussi être honnête avec elle-même. Elle est devant un choix déchirant. « J’ai peur de le quitter, car j’aime cette vie-là que j’ai bâtie avec lui et ses enfants. Je ne veux pas partir, mais je crains qu’un jour mon désir soit trop grand et que j’en vienne à cette conclusion-là. » D’où l’importance de bien évaluer et de communique­r la place de ce besoin dans sa vie.

La route d’Anne-Sophie vers un deuil ou non de la maternité n’est pas un long fleuve tranquille. Il est primordial que chacun soit honnête avec soi-même et avec l’autre. Il faut discuter des non-dits, au risque de ne pas recevoir la réponse qu’on attend. Au moins, l’agricultri­ce pourra ensuite prendre une décision éclairée avec toutes les données de l’équation en main.

Lorsque sonne le coucou de l’horloge biologique, il n’est pas rare que le désir d’avoir un enfant devienne tout à coup une priorité.

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