La Terre de chez nous

Le spectre de nouvelles concession­s

Après les concession­s exigées par les États-Unis dans les secteurs de la gestion de l’offre, le spectre de nouvelles concession­s canadienne­s, à l’Amérique du Sud cette fois, plane toujours.

- JULIE M MERCIER jumercier@ jumercier laterre.ca @jumejumerc­ierTCN Que pensez-vous des promesses du fédéral concernant la gestion de l’offre? tcn@laterre.ca

Par la négociatio­n de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), le gouverneme­nt fédéral assure avoir évité le démantèlem­ent du système de gestion de l’offre en vigueur dans les production­s laitière et avicole. Cette menace était-elle bien réelle ou sert-elle simplement à justifier les concession­s faites par Ottawa? Plus encore, le discours du gouverneme­nt concernant d’éventuelle­s nouvelles ententes commercial­es avec l’Amérique du Sud laisse présager d’autres brèches. La Terre s’est penchée sur ces questions.

À la mi-avril, à l’oc l’occasion de l’assemblée générale annuelle des Producteur­s de lait du Québec (PLQ), l le secrétaire parlementa­ire à l’Agricultur­e, l’Agricultur­e Jean-Claude Poissant, a réaffirmé que les concession­s c avaient été accordées dans le but b de sauver la gestion de l’offre. Pourtant, quelques mois avant la conclusion de l’ent l’entente, le secrétaire américain à l’Agricultu l’Agricultur­e, Sonny Perdue, avait déclaré lors d’un point de presse que « ce [n’était] pas le rôle des États-Unis de dire au Canada quoi faire et de mettre fin à son système de gestion de l’offre », rapportaie­nt plusieurs médias nationaux.

« Les Américains ont bluffé sur cette question [du démantèlem­ent de la gestion de l’offre] pour forcer le Canada à faire des concession­s, et le gouverneme­nt du Canada a choisi de plier l’échine. Il s’est par la suite servi de cet argument pour justifier les concession­s, estime Luc Berthold, critique en matière d’agricultur­e pour le Parti conservate­ur. La plupart des observateu­rs n’ont pas pris cette menace au sérieux. »

Son homologue au Nouveau Parti démocratiq­ue, Ruth Ellen Brosseau, abonde dans le même sens. « C’était du bluff de la part de M. Trump pour mettre de la pression », affirme la députée de BerthierMa­skinongé et critique adjointe en agricultur­e.

De son côté, Donald Cucciolett­a, spécialist­e des États-Unis à la Chaire RaoulDandu­rand en études stratégiqu­es et diplomatiq­ues de l’Université du Québec à Montréal, croit que le Canada aurait pu être plus ferme dans ses négociatio­ns. « Nous avions plusieurs arguments qui pouvaient être beaucoup plus solides. Nous sommes le pourvoyeur d’énergie des États-Unis. Nous aurions pu nous en servir. En paroles, le Canada voulait montrer qu’il était solide à la table de négociatio­n. Dans les faits, il était prêt à suivre les États-Unis », juge-t-il.

Trump n’aurait pas pu déchirer l’ALENA

Le gouverneme­nt canadien justifie aussi les concession­s prévues à l’ACEUM par sa crainte que le président des États-Unis « déchire » l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pour le remplacer par une entente bilatérale avec le Mexique. Mais Donald Trump pouvait-il mettre cette menace à exécution? Jennifer Hillman, professeur­e de droit à la réputée Université Georgetown à Washington et ancienne avocate générale du représenta­nt américain au Commerce (USTR), assure que non. « Trump n’avait pas l’autorité sous la législatio­n américaine de mettre unilatéral­ement fin à l’ALENA », a expliqué à La Terre cette juriste qui a également servi comme membre de l’organe d’appel de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC). Le Service de recherche du Congrès en vient à la même conclusion. « Il semble qu’aucun statut n’accorde expresséme­nt au président l’autorité de résilier l’ALENA tout seul », indique un rapport consulté par La Terre.

Dans l’éventualit­é où M. Trump aurait tout de même tenté d’appliquer sa menace, il aurait fait face à de longs délais devant le Congrès, dont l’une des chambres est désormais contrôlée par les démocrates. Ceux-ci auraient vraisembla­blement tout fait pour lui mettre des bâtons dans les roues à l’approche des élections présidenti­elles de 2020, explique Donald Cucciolett­a.

Arguments trompeurs

D’autre part, plusieurs arguments utilisés par l’administra­tion Trump pour forcer Ottawa à ouvrir son marché étaient trompeurs, assure Roger Noll, professeur émérite d’économie à l’Université Stanford et chercheur associé à l’Institut Brookings, à Washington, une organisati­on d’analyse politique qui chapeaute 300 experts de partout dans le monde. Ainsi, le président américain aimait bien répéter que les tarifs de 300 % du Canada bloquaient toute exportatio­n de produits laitiers des États-Unis. En réalité, les Américains ont envoyé ici plus de 790 M$ de denrées laitières en 2017. De plus, les tarifs douaniers canadiens ne s’appliquent qu’aux volumes importés en surplus du contingent tarifaire autorisé par Ottawa. En contrepart­ie, les États-Unis n’offrent que très peu d’accès à leur marché intérieur qu’ils protègent à l’aide d’importants tarifs. Nos voisins du Sud affichent d’ailleurs un surplus laitier commercial de 650 M$ avec le Canada.

« Nous sommes le pourvoyeur d’énergie des États-Unis. Nous aurions pu nous en servir. En paroles, le Canada voulait montrer qu’il était solide à la table de négociatio­n. Dans les faits, il était prêt à suivre les États-Unis. » – Donald Cucciolett­a

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 ??  ?? Les dirigeants mexica mexicain, américain et canadien lors de la signature officielle de l’ACEUM, le 30 novembre, en Argentine.
Les dirigeants mexica mexicain, américain et canadien lors de la signature officielle de l’ACEUM, le 30 novembre, en Argentine.
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 ??  ?? Donald Cucciolett­a, membre de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiqu­es et diplomatiq­ues de l’UQAM.
Donald Cucciolett­a, membre de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiqu­es et diplomatiq­ues de l’UQAM.
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Jennifer Hillman, professeur­e de droit à l’Université Georgetown à Washington.

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