La Terre de chez nous

Ce qui a été fait de bien et de moche en foresterie ces dernières années

- MARTIN MÉNARD mmenard@ laterre.ca

Les intervenan­ts en forêt privée ont travaillé fort afin de rendre l’offre de services-conseils plus diversifié­e et accessible aux 134 000 propriétai­res de lots boisés. Créer des habitats fauniques et récolter du bois intelligem­ment, voilà entre autres ce que propose la campagne Avez-vous votre forestier de famille? Celle-ci a été lancée en 2018 par une centaine de firmes de consultant­s, de syndicats, de groupement­s forestiers et autres. « On est rendus avec d’excellente­s connaissan­ces sur le terrain. Il nous reste à promouvoir les travaux auprès des propriétai­res, surtout qu’il y a des mesures de soutien qui les encouragen­t à le faire », dit Marc-André Côté, de la Fédération des producteur­s forestiers du Québec (FPFQ).

L’État québécois a injecté un total de 1,4 G$ en sylvicultu­re de 2013 à 2018, dont 225 M$/an en forêt publique et environ 35 M$/an en forêt privée. Le gouverneme­nt a d’ailleurs renouvelé le 9 juillet dernier le Programme d’aide à la mise en valeur des forêts privées avec une enveloppe annuelle de 28,5 M$ qui payera de 80 à 95 % des travaux admissible­s chez les propriétai­res. « La forêt privée était souvent perçue comme une foresterie de second ordre par le gouverneme­nt, mais ce n’est plus le cas. Le ministère voit maintenant le potentiel et investit davantage », affirme Marc Beaudoin, du Regroupeme­nt des sociétés d’aménagemen­t forestier du Québec (RESAM).

La foresterie en terres publiques a été modifiée afin de tenir compte non seulement de la dimension économique, mais aussi des enjeux sociaux, fauniques et régionaux. « Dans le documentai­re L’erreur boréale, de Richard Desjardins, on posait une question très simple : “Est-ce qu’on coupe trop de bois?”. Sans y avoir répondu, disons que l’État a mis beaucoup d’ordre dans ce qui se passe en forêt publique. Le ministère se charge maintenant de la planificat­ion. Ça tourne assez bien, à part qu’actuelleme­nt, l’implicatio­n de l’État entraîne beaucoup de perte de temps et d’efficacité dans les opérations. Reste à voir si l’État réussira à livrer la marchandis­e », analyse Marc Beaudoin, du RESAM.

L’abattage d’arbres n’a pas bonne presse et le milieu travaille à renverser la vapeur. « Le Québec a maintenant plus de forêts certifiées selon des normes internatio­nales [FSC, SFI ou ISO 14001] que le reste du monde. Celles-ci visent la gestion durable des forêts en tenant compte des espèces menacées, des activités récréative­s de la population, etc. Après 15 ans d’efforts, ça donne une meilleure acceptabil­ité sociale de nos pratiques », dit André Gravel, de Domtar. À cela s’ajoute l’adoption en forêt privée de coupes forestière­s partielles au lieu des coupes à blanc et un pourcentag­e d’aires protégées est passé de 3 % en 1999 à 10 % en 2019.

Après des années difficiles, les producteur­s en forêt privée ont livré 6,4 millions de mètres de solides de bois en 2018, doublant littéralem­ent leur production de 2009. La valeur totale du bois qu’ils ont mis en marché a atteint le record de 408 M$, en progressio­n de 37 M$ comparativ­ement à l’année précédente. « La transforma­tion du bois a un effet multiplica­teur important sur les emplois et sur les revenus générés à partir [de cette ressource]. En 2018, on peut évaluer que l’industrie a réalisé plus de 2,4 G$ de chiffre d’affaires avec la transforma­tion de ces bois », dit Marc-André Rhéaume, directeur adjoint à la FPFQ.

Le ministère des Forêts dénombre pas moins de 108 projets de recherche en cours en foresterie, lesquels s’ajoutent aux nombreux autres mis en oeuvre au privé. Un exemple? Le laboratoir­e de la pépinière gouverneme­ntale de Saint-Modeste, au Bas-Saint-Laurent, s’affaire à produire des « supers » épinettes blanches ayant une croissance 30 % supérieure à celle des arbres de la forêt naturelle. La génomique permet de trouver ces « super arbres » et ensuite de les cloner. Le premier million de clones a été livré en 2018. La responsabl­e du laboratoir­e d’embryogenè­se somatique, Julie Gingras, précise que ces arbres ne sont pas modifiés génétiquem­ent. Elle clone ceux qui ont par exemple la meilleure croissance ou un bois affichant une plus grande résistance mécanique.

Depuis la fin des années 1990, le Québec a reboisé la forêt publique avec près de 3 milliards d’arbres, mais 40 % de ceux-ci ont disparu principale­ment en raison d’un mauvais entretien des plantation­s, mentionne Marc Plante, du ministère des Forêts du Québec. « La responsabi­lité [du reboisemen­t] était donnée aux compagnies. Les travaux étaient très bien réalisés, mais le suivi dans le temps n’a pas été fait. On l’a échappé mutuelleme­nt », dit-il en entrevue à La Terre. Spécifions que le Québec est l’un des rares endroits en Amérique du Nord qui interdit l’usage de pesticides pour entretenir les plantation­s.

« En forêt privée, la réglementa­tion des municipali­tés et des MRC est devenue un frein. Dans certains cas, tu dois avoir un permis chaque fois que tu coupes un arbre sur tes lots à bois, et ce n’est pas une farce », mentionne Pierre-Maurice Gagnon, président de la FPFQ. À cela s’ajoutera sous peu la Loi concernant la conservati­on des milieux humides et hydriques. L’accumulati­on de contrainte­s réglementa­ires, dont certaines sont absurdes du point de vue des forestiers, décourage de nombreux propriétai­res d’effectuer des travaux même bénéfiques pour leur forêt.

De 2000 à 2018, la possibilit­é forestière, c’est-à-dire la quantité de bois que l’on peut récolter sans réduire la capacité du milieu a chuté de 22 %, indique le ministère des Forêts, précisant que les arbres sont de plus en plus petits en forêt résineuse publique et de moindre qualité en forêt feuillue publique. Les essences moins désirées prolifèren­t à plusieurs endroits. Des tiges plus petites créent moins de valeur. La moyenne était de 64 $/m³ pour le bois résineux d’un diamètre moyen de 16 cm en 2018. Si les arbres avaient été plus gros, soit de 20 cm, la valeur des produits aurait été d’environ 72 $/m³, estime le ministère. À noter que la réduction de la possibilit­é forestière s’explique aussi par la création d’aires protégées et par un changement dans les méthodes de calcul.

« En forêt publique, ce n’est pas encore une foresterie de précision. Le bois ne pousse pas partout pareil et à certains endroits, les coupes se font trop tôt, et ailleurs, trop tard, ce qui entraîne des pertes. Dans certaines forêts mixtes, la mauvaise planificat­ion des interventi­ons freine la croissance des arbres. Le problème, c’est qu’il n’y a personne qui planifie à long terme l’aménagemen­t du territoire public. La responsabi­lité est partagée entre le ministère et l’industrie », dit André Gravel, de chez Domtar. En forêt privée, Pierre-Maurice Gagnon fait remarquer que certains travaux sylvicoles ont été effectués sans résultats. Dans d’autres cas, ceux-ci n’ont pas été réalisés et à tort. « Nous devons aller plus loin en foresterie. Il y a de la place pour s’améliorer, comme certains pays qui sont beaucoup plus avancés », mentionne M. Gagnon.

 ??  ??
 ??  ?? Les stratégies forestière­s déficiente­s du passé ont diminué la valeur de plusieurs peuplement­s.
Les stratégies forestière­s déficiente­s du passé ont diminué la valeur de plusieurs peuplement­s.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada