La Terre de chez nous

Pas toujours simple, le changement de rôle à la ferme

- HÉLEN BOURGOIN, T.E.S. Travailleu­se de rang dans le Centre-du-Québec GINETTE LAFLEUR Doctorante en psychologi­e communauta­ire à l’UQAM

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Depuis son jeune âge, Steve rêvait de reprendre la ferme laitière familiale. De l’agricultur­e, il en « mangeait ». Jamais il ne lui était passé par la tête de faire autre chose dans la vie. Maintenant propriétai­re et boss de l’entreprise familiale, il se sent en déséquilib­re. Comment se fait-il que le jeune homme se sente tout à coup dépassé alors qu’il a atteint son but?

« Il a fallu que je consulte pour comprendre ce qui se passait avec moi, pour me comprendre, en fait. » Telles sont les paroles de Steve. Lorsqu’il est devenu actionnair­e à 100 %, il a eu du mal à travailler avec son père. « C’était invivable! Lorsqu’il venait m’aider, je perdais patience. On se pognait à coup sûr », raconte-t-il. Pourtant, quand son père était aux commandes de l’entreprise, leurs rapports étaient différents. « Dans ce temps-là, je n’avais pas trop à penser à quoi faire et à comment le faire. Mon travail était d’exécuter », se souvient-il.

Le changement de rôle n’a pas été simple, car la marche était très haute. Céder le volant n’a pas été facile non plus pour son paternel. Faire totalement confiance à son fils et lui laisser la responsabi­lité complète de la ferme ne s’est pas fait en un tour de main, précise Steve.

« Il me reprochait mes erreurs en disant qu’il n’aurait pas fait ça de la même manière, que sa méthode était meilleure que la mienne, explique l’agriculteu­r. Moi, du jour au lendemain, je devais tout décider... Je lui en voulais de ne pas m’avoir expliqué davantage les choses, de ne pas m’avoir appris à analyser. »

De l’eau dans son vin

Chacun a dû mettre de l’eau dans son vin pour pouvoir trouver un terrain d’entente. Comment atteindre un juste équilibre entre la vision et les attentes de chacun? Comment nommer les ressentis de l’un sans blesser l’autre? Pour cela, il fallait avant tout prendre le temps de se parler. C’était le défi des deux hommes.

Au début, Steve avait constammen­t un sentiment d’infériorit­é. Il doutait de ses capacités à diriger l’entreprise. « J’ai dû apprendre à dire à mon père qu’il avait changé de chapeau, qu’à présent j’étais le patron. Cependant, il ne perdait pas sa place dans ma vie. Il restait mon père et j’avais encore besoin de lui, de ses conseils, de son oeil d’entreprene­ur », souligne-t-il. Un temps d’adaptation a également été nécessaire pour le père de Steve.

Ils ont pris le temps de se dire les « vraies affaires » : les peurs, les inquiétude­s, mais aussi la fierté de voir la ferme familiale se perpétuer. Ils ont pris le temps de se parler de leur vision de l’entreprise sans pour autant se dénigrer. Ils ont retravaill­é les horaires afin d’éviter les prises de bec. Ils ont réussi à trouver un terrain d’entente en s’avouant que, des fois, « papa pouvait lâcher prise » et que, des fois, « papa pouvait avoir raison ».

Changer de rôle dans une entreprise agricole n’est pas évident. D’un côté, se détacher de ce qu’on a bâti ne se fait pas en criant ciseau. De l’autre, passer du siège de passager à celui de conducteur nécessite des apprentiss­ages. Même si c’est un exercice souvent difficile, une discussion bien menée permet de revenir sur la bonne voie. Parler avec ses connaissan­ces, mais aussi avec son coeur et sa vulnérabil­ité, permet de donner à l’autre l’occasion de vraiment nous comprendre et d’avoir ensemble une vision plus claire de l’avenir.

« J’ai dû apprendre à dire à mon père qu’il avait changé de chapeau, qu’à présent j’étais le patron. Cependant, il ne perdait pas sa place dans ma vie. »

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