La Terre de chez nous

La sécurité alimentair­e en temps de crise

- MARCEL GROLEAU Président général de l'Union des producteur­s agricoles

Ces jours-ci, nous entendons et lisons plusieurs commentair­es sur l’effet qu’aura sur nos sociétés la pandémie que nous traversons. Les chroniqueu­rs de tous les journaux et de toutes les radios y vont de leurs analyses sur les conséquenc­es économique­s et sociales de cette crise.

La mondialisa­tion, l’ouverture des marchés et la facilité des déplacemen­ts sont remises en question. Sommes-nous allés trop loin? On constate soudaineme­nt que notre sécurité nationale repose sur le bon fonctionne­ment des marchés. On apprend qu’une portion importante de nos médicament­s est fabriquée en Chine. Qu’arrive-t-il s’il ne peut plus en produire, ce que nous avons craint au plus fort de la pandémie dans ce pays? Bien que ce ne soit qu’un exemple, il soulève des questions fondamenta­les. À bien des égards, nous ne contrôlons pas les leviers essentiels de notre sécurité nationale. Le grand changement qu’apportera peut-être cette crise est une prise de conscience que certaines de nos certitudes sont une illusion. On le voit, tout peut changer rapidement.

Depuis le début de cette crise, on répète qu’il n’y aura pas de ruptures dans l’approvisio­nnement alimentair­e. On rassure les gens, les étals des épiceries débordent de produits, tout va bien. Pourtant, la chaîne alimentair­e est fragile. On ne doit jamais tenir pour acquise notre sécurité alimentair­e.

Notre sécurité alimentair­e dépend de la capacité de chaque maillon à jouer son rôle efficaceme­nt. La production agricole, les importatio­ns et les exportatio­ns, la transforma­tion ainsi que la distributi­on sont toutes essentiell­es et irremplaça­bles. Dans tous les pays ou presque, c’est ainsi. Cette filière fonctionne si bien qu’aujourd’hui, au Québec, se nourrir est presque banal, un geste anodin. On se soucie plus de ses vacances que de sa sécurité alimentair­e.

D’en être arrivé à ce point est un privilège énorme dans une société. Il y a à peine 100 ans, se nourrir était pour plusieurs la principale préoccupat­ion de la journée. On n’y pense pas, mais c’est encore le cas pour 25 % des habitants de cette planète.

Cette semaine, l’Organisati­on des Nations unies (ONU), l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) et l’Organisati­on mondiale de la Santé (OMS) ont levé un drapeau rouge, indiquant qu’il y avait un risque réel de pénurie alimentair­e. Cet avertissem­ent n’est pas étranger au fait que les deux plus grands producteur­s agricoles mondiaux, l’Europe et les États-Unis sont gravement frappés par la pandémie. La perspectiv­e d’une rareté de certaines denrées de base serait suffisante pour provoquer une augmentati­on importante des prix et des réactions imprévisib­les de certains pays. Nous l’avons vu en 2008 avec les émeutes de la faim. Les plus affectés, encore, seront les population­s de pays pauvres, incapables de faire face à l’augmentati­on des prix.

On s’inquiète aux États-Unis, en Europe et chez nous de la disponibil­ité des employés saisonnier­s qui oeuvrent à la production agricole. La France a lancé un appel à la nation pour recruter 200 000 employés. Les travailleu­rs des usines de conditionn­ement et de transforma­tion des aliments ne sont pas épargnés par le virus et la maladie. Tous les transforma­teurs alimentair­es vous le diront : la production est ralentie par toutes les mesures à prendre pour protéger les travailleu­rs. Un abattoir important en Pennsylvan­ie, propriété du géant JBS, est arrêté pour une durée de 14 jours. Une importante usine de transforma­tion de porcs est fermée depuis le 29 mars au Québec, et peut-être pour une période de 14 jours. Tous les déplacemen­ts, internatio­naux et intérieurs, sont plus difficiles. Le transport des marchandis­es est aussi ralenti. Les risques que tout n’aille pas comme nous l’avions prévu sont réels.

Certains trouveront mes commentair­es un peu alarmistes. Mais il n’y a pas de chance à prendre. Le secteur agroalimen­taire doit être une priorité des gouverneme­nts, comme c’est le cas pour le réseau de la santé en ces moments troubles. Le drapeau rouge levé par l’ONU, l’OMC et l’OMS doit être entendu par les États.

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