Une abondance à double tranchant
L’abondante saison des récoltes de producteurs comme Alain Dulude est obscurcie par l’engorgement du marché des grossistes qui a fait piquer du nez les prix de plusieurs variétés de légumes.
Du chou au maïs sucré, des maraîchers visités par La Terre rapportent des volumes au champ et une qualité de produits a priori satisfaisants, sauf que parfois, l’abondance ne paie pas. Pour certains légumes, les bas prix sur le marché des grossistes nord-américains jettent de l’ombre sur une saison qui s’annonçait pourtant prometteuse.
SAINT-RÉMI — « C’est comme changer une piastre pour trois 25 sous », illustre à la blague Jean-Sébastien Dulude, qui assure la relève avec ses deux soeurs aux Fermes Alcaro, de Saint-Rémi en Montérégie. Bien que ses récoltes de choux verts et rouges soient intéressantes jusqu’ici, le producteur estime perdre au change en raison de l’engorgement sur le marché des grossistes qui fait descendre radicalement les prix qu’il obtient pour ces légumes.
Dans un rapport produit par l’Association des producteurs maraîchers du Québec (APMQ) qui compare les prix de la saison 2021 jusqu’ici à ceux de 2020 à la Place des producteurs – le plus gros marché public de gros à l’est de l’Ontario – on note en effet des baisses de l’ordre de 50 % pour un carton de 50 lb de choux nappas et de 39 % pour un carton du même poids de choux verts. À titre d’exemple, un carton de choux nappas se vendait 25 $ en 2020, comparativement à 12,67 $ cette année.
« Ça fait 35 ans qu’on est en affaires et je n’avais jamais vu ça avant, précise Alain Dulude, père de Jean-Sébastien et propriétaire de la ferme. Des fois, les prix peuvent baisser pas mal pendant une journée ou deux, mais normalement, ça reprend vite. Là, ça fait un mois que ça dure », ajoute-t-il. Le producteur calcule perdre 2 $ par boîte vendue depuis le début des récoltes, le 24 juin, parce que les coûts de production surpassent le montant qu’il obtient (voir encadré).
Lors de la visite de La Terre le 10 août, M. Dulude s’affairait à couper et à emballer des choux verts au champ avec 14 de ses travailleurs. « Regarde comme le champ est beau, mais quand les prix ne sont pas là, ça annule tout », se désole celui qui préfère obtenir de moins bons rendements accompagnés de bons prix que l’inverse. « Si tu étais venue hier, tu nous aurais vus détruire des milliers de caisses de choux, parce que la demande n’est pas là. Les récoltes aux États-Unis sont bonnes, contrairement à l’an dernier, ce qui fait que l’offre surpasse la demande partout en Amérique du Nord », souligne le producteur. Il précise que les temps sont durs pour lui, car ses choux verts et rouges sont principalement destinés à l’exportation en sol américain. « J’ai de la misère à exporter, alors j’appelle tous les grossistes locaux pour passer mes produits, mais je n’ai aucun retour d’appel. Ça refoule jusqu’ici », constate-t-il.
Plusieurs productions touchées
Outre les choux, plusieurs productions affichent des baisses de prix importantes par rapport à 2020, selon le rapport de l’APMQ, notamment les aubergines, les laitues, les radis, les brocolis, les céleris, les épinards et les laitues romaines. Pour les cartons de 24 lb d’aubergines, le recul est de l’ordre de 48 %.
« En plus des bonnes récoltes en Californie qui engorgent le marché, le taux de change canadien a augmenté de 11 % entre juin 2020 et juin 2021. Ça fait baisser la demande des produits canadiens là-bas », confirme Catherine Lessard, directrice de l’économie, de la politique et de la recherche à l’association. Elle rappelle toutefois que les prix des légumes étaient particulièrement élevés en 2020 par rapport à la moyenne.
Des ventes en kiosque plus tranquilles
Du côté de la vente en kiosque, plusieurs producteurs ont signalé à l’APMQ un début de saison « très tranquille » contrairement à l’an dernier, selon Mme Lessard. Micheline Rodrigue, copropriétaire du Verger du père de la fraise, à Saint-Pauld’Abbotsford en Montérégie, remarque en effet que les visiteurs sont moins nombreux. « Ça a cassé aux vacances de la construction et la reprise est lente », indique-t-elle.
Cette dernière vend différentes variétés de fruits et légumes autant dans les supermarchés qu’en kiosque et en autocueillette. Elle considère qu’un tel trio lui permet de mieux écouler ses produits. La vente en kiosque est un peu plus avantageuse, selon elle, mais dans le contexte de pénurie de maind’oeuvre et d’augmentation des coûts, notamment des salaires, elle évalue qu’il devient presque équivalent de vendre en gros qu’au détail. « La masse salariale a augmenté beaucoup depuis trois ans », fait-elle remarquer.
« Une saison maraîchère, c’est comme une game de hockey : il y a trois périodes. On a eu une première mauvaise période, mais il en reste deux. »
– Alain Dulude