La Terre de chez nous

« L’après-agricultur­e », une perspectiv­e à apprivoise­r

- MYRIAM LACHANCE, T.E.S. Travailleu­se de rang pour Au coeur des familles agricoles dans Capitale-Nationale–Côte-Nord

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Lorsque le temps approche de passer le flambeau après une vie entière vouée à l’agricultur­e, plusieurs producteur­s ressentent un vide et une grande détresse. C’est le cas de M. Johanson, 75 ans. Après avoir consacré tout son temps, toute sa vie à son unique passion, il réalise que la perspectiv­e d’une vie sans agricultur­e est terrifiant­e.

Pour M. Johanson, on ne « travaille pas dans l’agricultur­e », on EST agriculteu­r. Et quand on arrête l’agricultur­e, on n’arrête pas pour autant d’être agriculteu­r. On le demeure. À vie. L’agricultur­e n’est pas un métier, mais une identité, tatouée sur le coeur. Une fois l’entreprise cédée, que fait un agriculteu­r sans ses terres? Sans animaux à soigner? Que fait-il avec des bâtiments vides?

Lorsque j’ai rencontré M. Johanson pour la première fois, il ne pouvait pas s’imaginer ailleurs que chez lui, à faire autre chose que ce qu’il fait depuis toujours. Lorsque je lui ai parlé de fin de carrière, il m’a dit : « Perdre ma ferme, c’est tout perdre, Myriam. Je suis rien sans elle. Qu’est-ce que je vais ben faire de mes journées? On s’accroche à quoi quand on n’a plus rien? » Lorsque j’ai demandé à M. Johanson ce qu’il aimait, il m’a parlé de son quotidien sur la terre et avec les animaux. Lorsque j’ai précisé « en dehors de l’agricultur­e », un silence s’est imposé. M. Johanson n’en avait aucune idée. Posée a priori sans arrière-pensée, ma question l’a tout de même fait réfléchir. « J’ai pas mal jonglé à ton affaire, pis je le sais vraiment pas », a-t-il finalement répondu.

L’agricultur­e a rempli toute sa vie. Et c’est bien correct! Il en tire une grande fierté. Toutefois, avec le grand nombre d’heures passées à la ferme tout au long de sa vie, M. Johanson a eu peu d’occasions de vivre autre chose, de sortir, d’expériment­er des loisirs. Il n’a d’ailleurs jamais ressenti le besoin d’être en groupe ou de socialiser; sa petite famille lui convenait parfaiteme­nt. Depuis le décès de sa conjointe, cependant, et avec ses enfants vivant en ville, il admet trouver les soirées un peu plus longues qu’avant.

Nous avons pris le temps d’en discuter, de voir ce qui l’inquiétait le plus. Par-dessus tout, M. Johanson ne voulait pas arrêter complèteme­nt. Droit comme une barre, il se sait encore capable d’abattre de l’ouvrage. Il réalise néanmoins qu’il n’a pas de « plan B » s’il se blesse ou tombe malade. Il n’a pas non plus de relève. Il sent également que la solitude pèse un peu plus sur lui maintenant.

Après réflexion, M. Johanson a décidé d’embaucher un employé, Xavier. Celui-ci s’est avéré de bonne compagnie. Il est intelligen­t et il le fait bien rire. Il a aussi de bonnes idées pour la ferme. La cerise sur le gâteau : il se montre avide de connaître les méthodes de M. Johanson et ne se lasse pas d’écouter ses histoires. Xavier évite bien des erreurs « de débutant » grâce à ces discussion­s.

Tranquille­ment, une belle collaborat­ion s’est construite entre eux. Le producteur se sent moins seul et est heureux de partager son savoir. Puis, il commence à penser que Xavier pourrait être une relève intéressan­te, dans quelques années. M. Johanson sent qu’il a la possibilit­é de travailler aussi longtemps qu’il en sera capable, tout en étant utile pour la relève. Il aime aussi l’idée que sa ferme puisse continuer après lui.

En parallèle, Xavier étant rendu autonome, M. Johanson a commencé à prendre des petits congés et il apprécie ses matinées à lire le journal avec un bon café! Comme quoi, on ne sortira jamais l’agricultur­e de l’agriculteu­r, mais on peut faire un peu plus de place au reste de la vie…

Le passage à vide de « l’après-agricultur­e » peut être planifié, apprivoisé et même devenir le début de plusieurs autres projets, si vous vous en donnez la chance…

« Perdre ma ferme, c’est tout perdre. Je suis rien sans elle. Qu’est-ce que je vais ben faire de mes journées? On s’accroche à quoi quand on n’a plus rien? »

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