La Terre de chez nous

Les fermes de plus en plus nombreuses à se faire « voler » leurs TET

- CAROLINE MORNEAU cmorneau@ laterre.ca

Avec la pénurie de main-d’oeuvre qui sévit dans tous les domaines, la concurrenc­e s’intensifie pour le recrutemen­t de travailleu­rs étrangers temporaire­s. De plus en plus d’agriculteu­rs perdent leurs employés, après avoir assumé les frais et rempli la paperasse pour les faire venir au Québec, au profit d’autres secteurs d’activité qui leur font miroiter de meilleurs salaires.

SAINT-RÉMI – La productric­e maraîchère Brigitte Pigeon, de Saint-Rémi en Montérégie, connaissai­t le phénomène grandissan­t des travailleu­rs étrangers temporaire­s ( TET) qui délaissent les fermes une fois arrivés au Québec pour se tourner vers un autre domaine, mais était loin de s’imaginer qu’elle se ferait faire le coup. Surtout qu’elle accorde une grande importance au bien-être de ses TET, qu’elle traite comme des membres de la famille. Sa ferme a d’ailleurs remporté le concours Ma ferme, mon monde d’AGRIcarriè­res en 2020 pour ses bonnes pratiques en gestion des ressources humaines. C’est donc avec stupéfacti­on qu’elle a découvert en septembre que deux de ses employés guatémaltè­ques avaient plié bagage en douce. « C’étaient deux frères, dont un travaillai­t pour nous depuis 2009, raconte la productric­e. Ils ont préparé leur coup pendant la fin de semaine et sont partis sans rien dire. [L’un d’eux] m’a juste écrit par après pour s’excuser, mais on n’a pas eu plus de détails », ajoute-t-elle. « On pense qu’ils sont encore à Montréal. On le voit sur Facebook », renchérit sa nièce, Brielle Pigeon.

L’entreprise Patates Dolbec, dans la MRC de Portneuf, a subi le même sort juste avant Noël. Les producteur­s de pommes de terre ont perdu d’un coup sept travailleu­rs qu’ils avaient fait venir de Madagascar. « Ça a été une claque dans la face. On est tous assommés de la situation », témoigne Véronique Pageau, assistante aux ressources humaines.

Recrutés à l’épicerie

Équipe Sarrazin, qui offre des services d’attrapage de volailles aux abattoirs comme Exceldor, témoigne avoir perdu pas moins de 54 travailleu­rs étrangers temporaire­s depuis juillet 2021 au profit de recruteurs du secteur de la constructi­on ou d’agences de placement qui les solliciten­t à l’épicerie les samedis et les dimanches. « C’est un vrai fléau, rapporte Yves Sarrazin, président de l’entreprise basée à Granby, en Estrie. Ça nous coûte entre 3 000 et 4 000 $ pour faire venir un travailleu­r jusqu’ici, en plus de prendre plusieurs mois, puis on se le fait voler par d’autres qui peuvent leur donner de plus gros salaires justement parce qu’ils n’ont pas payé ces frais-là », déplore-t-il.

Pour l’année 2021, 264 TET qui transigent par l’entremise de la Fondation des entreprise­s en recrutemen­t de maind’oeuvre agricole étrangère (FERME) ont quitté leur employeur, soit pour aller aux États-Unis ou dans un autre secteur d’activité. Il s’agit d’une hausse considérab­le par rapport à 2019 et 2020, alors qu’une centaine de déserteurs par année étaient recensée. Le directeur général Fernando Borja attribue cette augmentati­on à plusieurs facteurs, notamment à des initiative­s du fédéral qui favorisent la mobilité (voir texte en page 5).

« C’étaient deux frères, dont un travaillai­t pour nous depuis 2009. Ils ont préparé leur coup pendant la fin de semaine et sont partis sans rien dire. »

– Brigitte Pigeon

Le recrutemen­t au noir décrié

Avec le phénomène de pénurie de maind’oeuvre qui s’accentue, Julio Lara, représenta­nt au syndicat des Travailleu­rs et travailleu­ses unis de l’alimentati­on et du commerce, remarque que des employeurs d’autres secteurs, par exemple de la constructi­on, sont prêts à tout pour recruter des travailleu­rs étrangers en leur proposant des salaires élevés et en leur affirmant parfois qu’ils ont en main les papiers légaux requis pour les accueillir, alors que c’est faux. « Les travailleu­rs sont exposés à plus d’exploitati­on. Ils se retrouvent à travailler au noir sans le savoir; ça, on le voit. Ils se font promettre de meilleures conditions de travail, alors que ce n’est pas ce qui arrive », dit-il. Michel Pilon, du Réseau d’aide aux travailleu­ses et travailleu­rs migrants agricoles dénonce un phénomène similaire. « Il faut rappeler aux travailleu­rs que le salaire promis par des beaux parleurs, ce n’est pas tout. Quand ils travaillen­t à la ferme, ils ont un logement qu’ils payent seulement 30 $ par semaine, alors qu’ailleurs, le logement ne sera pas nécessaire­ment fourni », exprime-t-il, soulignant qu’un comité a justement été créé récemment, en collaborat­ion avec FERME et l’Union des producteur­s agricoles, entre autres, pour voir comment sensibilis­er et mieux informer les TET de ces risques. Avec la collaborat­ion de Patricia Blackburn

 ?? ?? L’entreprise Patates Dolbec embauche environ 67 TET qui sont payés au salaire minimum ou plus, selon les échelons et la catégorie de poste occupé.
L’entreprise Patates Dolbec embauche environ 67 TET qui sont payés au salaire minimum ou plus, selon les échelons et la catégorie de poste occupé.
 ?? ?? Brigitte Pigeon a eu une bien mauvaise surprise en septembre lorsqu’elle s’est aperçue que deux de ses travailleu­rs étrangers avaient plié bagage en douce.
Brigitte Pigeon a eu une bien mauvaise surprise en septembre lorsqu’elle s’est aperçue que deux de ses travailleu­rs étrangers avaient plié bagage en douce.
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada