La Terre de chez nous

Un bras de fer nuisible et dangereux

- MARTIN CARON Président général de l'Union des producteur­s agricoles

L’inflation continue de faire les manchettes et plusieurs s’inquiètent de son incidence sur le panier d’épicerie. Cette inquiétude n’est pas sans fondement.

En janvier dernier, je disais qu’il fallait relativise­r la croissance annuelle de l’indice des prix à la consommati­on (IPC), car l’augmentati­on signalée à ce moment était tirée vers le haut par des produits comme l’essence et les meubles. Cette précision est encore vraie pour les nouvelles données dévoilées récemment. L’IPC a augmenté de 5,1 % entre janvier 2021 et 2022 (+4,3 % lorsqu’on retire l’essence). Cela dit, le prix du panier d’épicerie n’est pas épargné : +6,5 % pour la même période, soit la plus importante hausse annuelle depuis mai 2009.

Le panier d’épicerie n’est cependant pas monolithiq­ue. Radio-Canada a d’ailleurs comparé l’évolution des prix au salaire horaire moyen en vigueur de 1997 à aujourd’hui. De façon générale, la viande, les fruits et les légumes sont plus dispendieu­x qu’en 1997. Les produits sous gestion de l’offre et plusieurs aliments de tous les jours (conserves, pâtes, farine, etc.) le sont toutefois moins. Le portrait varie aussi à l’intérieur de chaque catégorie. À titre d’exemple, le prix du boeuf haché a augmenté de 63,4 % tandis que celui des côtelettes de porc a diminué de 34,4 %. Le prix des oignons a augmenté de 17,8 %, mais celui des champignon­s a diminué de 8,3 %. Bref, chaque produit vit un contexte commercial qui lui est propre, incluant dans divers secteurs de production (comme l’élevage bovin, à titre d’exemple) qui peinent à obtenir leur juste part du dollar alimentair­e.

Le bras de fer actuel entre plusieurs fournisseu­rs, qui voient leurs coûts de production augmenter, et certains grands détaillant­s, qui refusent d’en transférer une partie aux consommate­urs, est beaucoup plus inquiétant. Comme le rapportait récemment le quotidien La Presse en marge de l’augmentati­on de 8,4 % du prix du lait à la ferme, « les entreprise­s productric­es de yogourt, de fromage et même de lait de consommati­on peinent à refiler une partie de cette hausse aux supermarch­és, qui, dans certains cas, ne consentent qu’à des augmentati­ons de coûts pouvant aller de 2 % à 6 % ». Le différend entre Frito-Lay Canada et les Compagnies Loblaw est de même nature. Cette bannière n’a pourtant pas hésité à augmenter ses prix, il y a quelques mois, quand ses propres frais d’exploitati­on ont augmenté.

Ces exemples démontrent à quel point les grands détaillant­s, qui représente­nt 77 % des achats alimentair­es dans les commerces de détail, ont une emprise importante sur la profitabil­ité des autres joueurs de la chaîne alimentair­e. Le futur code de conduite pancanadie­n entre les fournisseu­rs et les détaillant­s, qui sera dévoilé dans quelques mois, s’appuie d’ailleurs sur le même constat.

Du côté agricole, entre les troisièmes trimestres 2020 et 2021, l’indice des prix des entrées dans l’agricultur­e (autrement dit des coûts de production) affiche une augmentati­on annuelle de 10,8 %. Depuis 2012 (période de référence), la hausse moyenne du prix des intrants est de 27,2 %. La maind’oeuvre, l’énergie, la machinerie, les semences, les engrais, le bétail, les aliments commerciau­x : tout coûte plus cher d’année en année. Les transforma­teurs alimentair­es observent une augmentati­on similaire de leurs coûts de production. Et le conflit en Ukraine viendra exacerber ce phénomène, à tous les niveaux.

En refusant de transférer aux consommate­urs une partie de l’augmentati­on, les grands détaillant­s forcent une rentabilit­é moindre pour tous les autres joueurs de la filière alimentair­e, qui sont contraints de l’absorber. Les répercussi­ons de ce refus sont insoutenab­les à moyen et long terme.

Selon le Départemen­t de l’Agricultur­e des États-Unis (2020), le panier d’épicerie canadien est le septième moins dispendieu­x sur la planète (10,6 % du revenu des ménages). Les grands détaillant­s devraient en prendre acte et comprendre qu’en refusant d’absorber et de transférer leur juste part de l’inflation, c’est la pérennité du système alimentair­e canadien en entier qu’ils fragilisen­t.

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