La Terre de chez nous

Changement­s climatique­s : beaucoup de pain sur la planche

- MARTIN CARON Président général de l'Union des producteur­s agricoles

Le plus récent rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) appelle à des mesures immédiates et « draconienn­es » pour limiter le réchauffem­ent à 1,5 °C et « garantir un avenir vivable ». L’appel des chercheurs serat-il entendu? Rien n’est moins sûr.

Pour atteindre l’objectif, les émissions mondiales de GES doivent plafonner d’ici 2025 et diminuer d’au moins 43 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 2019. Il s’agit d’un virage sans précédent, d’autant plus que les engagement­s actuels des 195 gouverneme­nts membres du GIEC conduisent vers une croissance de 14 % des émissions d’ici la fin de la décennie.

Le GIEC présente plusieurs moyens individuel­s et collectifs de réduire les émissions : réduction substantie­lle de l’utilisatio­n des hydrocarbu­res, recours accru aux énergies vertes, habitudes de consommati­on plus durables, restaurati­on d’écosystème­s, intégratio­n d’énergies renouvelab­les dans les bâtiments, électrific­ation des transports, recours aux transports actifs et en commun, etc. La densificat­ion du tissu urbain existant, un des enjeux au coeur de la future Politique québécoise d’architectu­re et d’aménagemen­t du territoire, est aussi une piste de solution.

Certains des moyens proposés concernent directemen­t l’agricultur­e et l’alimentati­on. Je pense notamment à l’adoption de « régimes alimentair­es sains, équilibrés et durables », comprenant des aliments « à base de plantes » et d’autres d’origine animale, mais produits dans « des installati­ons résiliente­s, durables et à faible émission de gaz à effet de serre ».

Le rapport propose aussi d’augmenter la séquestrat­ion du carbone par une meilleure gestion du sol dans les terres cultivées, les prairies, l’agroforest­erie et le biochar. Les auteurs font également référence à une baisse des émissions de méthane, principale­ment liées aux ruminants, et de protoxyde d’azote, majoritair­ement issu du processus de dénitrific­ation des engrais azotés.

La réduction des « distances parfois démesurées que doivent parcourir les aliments pour se rendre jusqu’à notre table » fait aussi partie des recommanda­tions du GIEC, tout comme la réduction des surplus et du gaspillage alimentair­e. Rappelons que ce gaspillage, à lui seul, suffirait à nourrir les quelque 800 millions d’individus qui souffrent de la faim dans le monde. Ajoutons que le gaspillage se manifeste aussi au sein de chaque filière, qu’il s’agisse de la production, de la transforma­tion ou de la distributi­on.

Selon le GIEC, « l’intensific­ation durable de l’agricultur­e » permettrai­t de libérer des terres pour le reboisemen­t, la restaurati­on et la production d’énergie renouvelab­le. Ce constat s’applique difficilem­ent aux superficie­s agricoles québécoise­s (2 % du territoire) et canadienne­s (6 %), mais la déforestat­ion massive est effectivem­ent une réalité dans plusieurs pays.

Le Canada représente environ 1,6 % des émissions mondiales de GES, mais les émissions par habitant y sont 2,6 fois plus élevées que la moyenne des pays du G20. Le Canada est d’ailleurs le seul pays du G7 dont les émissions ont augmenté depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015. Nous avons donc collective­ment beaucoup de pain sur la planche.

En 2019, les émissions de GES du secteur agricole représenta­ient 10 % des émissions totales au Canada. L’agricultur­e est également l’une des principale­s sources d’émissions de méthane (29 % des émissions totales). Dans son Plan de réduction des émissions d’ici 2030, le ministre Steven Guilbault a toutefois fixé à 1 % la réduction souhaitée, soit beaucoup moins que dans d’autres domaines, rappelant que le secteur agricole ne disposait pas actuelleme­nt des moyens financiers et technologi­ques pour en faire plus.

Les agriculteu­rs du pays peuvent être fiers de leurs réalisatio­ns agroenviro­nnementale­s, d’autant plus que le soutien n’était pas à la hauteur des défis. Plusieurs investisse­ments récents annoncent un changement de cap à cet égard, mais il faudra un soutien beaucoup plus important pour aller plus loin. Espérons toutefois que le virage misera davantage sur la formation et l’innovation que sur le volet administra­tif, les agriculteu­rs étant littéralem­ent enterrés sous des tonnes de paperasse.

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