La fois où Pierre a frappé une vache
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Pierre, 52 ans, est producteur laitier. Unique actionnaire, il se décrit comme « le pilier financier de la famille ». Sa conjointe s’occupe du côté administratif, tient la maison et élève leurs enfants. Ceux-ci viennent par ailleurs « gratter » à l’occasion, mais l’intérêt n’y est pas vraiment.
Pierre est un bon père de famille, aimant et patient. Il aimerait passer plus de temps avec ses enfants, mais il est débordé. Il mange cependant avec eux tous les soirs après la traite, et il en est très fier.
Pierre m’a appelée à la suite d’une « perte de contrôle ». En 28 ans, il a fait face à plusieurs changements. Il s’est toujours adapté, mais là, il semble avoir atteint son « quota ». La hausse récente du prix du lait, les critiques du public et les nouvelles normes de bien-être animal sont plus difficiles à accepter. Le producteur en a marre de voir ses marges de profit diminuer, marre d’être le seul entrepreneur qui ne peut ajuster ses prix en fonction de ses dépenses. Un peu plus chaque jour, Pierre « bouille en d’dans ».
Avec tout le soin qu’il porte à ses vaches, Pierre me confie également qu’il est furieux de se faire dire qu’elles sont malheureuses ou de se faire juger parce qu’elles sont attachées. Il considère que la stabulation libre apporte aussi son lot de problèmes, et il se désole que la population soit si peu au courant.
Pierre aimerait commencer à penser à la retraite. Toutefois, avec une relève familiale incertaine, il s’inquiète de devoir se réendetter pour des normes qui, selon lui, changeront encore dans quelques années. Après avoir autant travaillé, il ne souhaite pas hypothéquer sa retraite et leur qualité de vie, à lui et à sa femme, pour une ferme qu’il devra vendre ou démanteler un jour.
Cela dit, Pierre adore ce qu’il fait. Ses vaches, c’est toute sa vie. À 52 ans, il ne se voit pas retourner aux études ou apprendre un autre métier. Pour lui, c’est comme si l’avenir était un cul-de-sac. Devra-t-il un jour robotiser la ferme? Pourra-t-il survivre en stabulation entravée malgré les nouvelles normes? Est-ce que les prix des intrants cesseront d’augmenter? Plus globalement, quel sens donner à tout son travail, s’il n’y a pas de relève au bout? À quoi bon travailler à maintenir une ferme en santé, au détriment du temps de qualité avec sa femme et ses enfants, si personne n’en bénéficie plus tard?
Un matin…
Ces questions – et bien d’autres! – tournent en boucle dans la tête de Pierre. Un matin, une vache lui résiste et s’impatiente quand il arrive avec la trayeuse. Il voit rouge; il la pousse et la frappe. C’est après cet événement qu’il prend la décision de m’appeler. Il se sent tellement mal. Pierre n’est pas violent et il aime réellement ses vaches. Qu’est-ce qui lui arrive?
L’agressivité envers les animaux est un sujet très tabou; il est difficile d’en parler. Pourtant, ce comportement indique quelque chose, une souffrance, une accumulation de frustrations, un trop-plein. Ces émotions peuvent (et doivent!) être vécues autrement. Mais pour cela, on doit comprendre ce qui nous a conduits là. Pierre et moi avons remonté le fil de son histoire, sans jugement. Il a pu réaliser tout le stress vécu dans les dernières années et mettre des mots sur ses inquiétudes actuelles. Avec le temps, Pierre a cheminé dans ses réflexions et pris un pas de recul sur sa situation. Il a trouvé des solutions qui lui conviennent et se sent mieux maintenant.
Si, comme Pierre, vous voyez rouge en ce moment, si vous vous surprenez à avoir des comportements agressifs, ne restez pas seul avec votre malaise et votre honte. Une travailleuse de rang peut vous aider, en toute confidentialité et sans jugement.
L’agressivité envers les animaux est un sujet très tabou. Pourtant, ce comportement indique quelque chose, une souffrance, une accumulation de frustrations, un trop-plein.