Le producteur, plus le bienvenu dans sa campagne
Aujourd’hui, j’aimerais vous raconter une histoire qui s’est passée dans mon village. En effet, en dépit du ciment qui nous lie, le clivage entre des gens de plus en plus déconnectés du monde agricole et les agriculteurs représente – à mon humble avis – un enjeu sur lequel il importe encore de se pencher. De plus, avec la pandémie, l’attrait pour nos campagnes n’a jamais été aussi important, mais cela comporte son lot de défis.
Tout a commencé dans la dernière année, lorsqu’un projet de construction d’une mégaporcherie d’environ 12 000 têtes a semé la controverse et entraîné une mobilisation de citoyens exigeant une expertise du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Selon eux, un projet de cette envergure menacerait la qualité des sols et des cours d’eau. Ils dénoncent également l’élevage d’animaux. Les odeurs et les risques pour la santé des humains habitant à proximité des porcheries les inquiètent particulièrement. Au moment d’écrire ces lignes, ces citoyens ont obtenu gain de cause; le projet est temporairement mis sur la glace et continuera d’être étudié.
Comprenez-moi bien : l’idée ici n’est pas de débattre à savoir si un tel projet devrait avoir lieu ou non. C’est plutôt d’illustrer un climat malsain qui peut s’installer rapidement entre des citoyens et des agriculteurs.
Dans mon travail, je fais régulièrement de la sensibilisation auprès de personnes issues de tous les milieux. Répondre aux exigences agricoles élevées est loin d’être aussi simple que l’on pense. L’agriculture parfaite à 100 % n’existe pas. La majorité des gens sont très ouverts, compréhensifs et sensibles. Cependant, là où le bât blesse, c’est lorsqu’une petite portion d’entre eux ne comprend pas les enjeux agricoles dans leur globalité et propage de la désinformation. J’en ai discuté avec plusieurs d’entre vous, et cette minorité bruyante donne l’impression qu’être agriculteur, c’est un peu comme être le loup dans la bergerie. Autrement dit, le producteur n’est plus le bienvenu dans sa campagne.
Dans le cas de la porcherie, un agriculteur s’est confié à moi en me disant qu’il était tout à fait légitime que les gens expriment leurs craintes. Le problème n’est pas là. Ses inquiétudes relèvent plutôt du fait qu’une montée aux barricades pour un projet comme celui-ci pourrait faire boule de neige et que chaque projet d’expansion agricole devrait passer par un moratoire public. Une productrice m’a quant à elle expliqué que ce qui lui pesait le plus, c’était l’appréhension d’être surveillée dans son travail à la ferme et aux champs. « Je n’ai pas envie que mes voisins fassent des plaintes chaque fois que je sors épandre du fumier ou qu’on me dise comment je devrais prendre soin de mes animaux. À un moment donné, si on ne peut plus faire de l’agriculture dans nos campagnes, on la fera où? » me demandait-elle.
La proportion d’agriculteurs et d’agricultrices dans la population est de plus en plus mince. Toutefois, le décalage entre leur réalité et celle des citoyens est de plus en plus grand. Faire connaître la réalité agricole ne devrait pas reposer en plus sur les épaules de gens qui en ont déjà plein les bras.
Je n’ai pas la prétention de dire que j’ai la solution pour rétablir le dialogue, mais je pense qu’il est important de continuer à déstigmatiser l’agriculture. Au coeur des familles agricoles avait publié en 2010 un Guide du bon voisinage. Destiné à tous les Québécois soucieux de préserver notre territoire agricole ancestral, celui-ci semble toujours d’actualité.
« À un moment donné, si on ne peut plus faire de l’agriculture dans nos campagnes, on la fera où? »