La Terre de chez nous

Crédits compensato­ires pour la plantation d’arbres : aucune demande en plus d’un an

- SOPHIE LACHAPELLE

Instauré il y a un peu plus d’un an, un programme de crédits carbone compensato­ires accordés pour la plantation d’arbres n’a reçu aucune demande de la part d’agriculteu­rs.

« On a évalué qu’on a 100 000 hectares d’admissible­s pour une valeur de 16 à 32 M$ de revenus pour les propriétai­res de terres forestière­s. Mais aucun projet n’a été soumis, entre autres parce que c’est trop complexe», rapporte Marc-André Rhéaume, directeur général adjoint de la Fédération des producteur­s forestiers du Québec.

Le programme, encadré par un règlement appelé «Séquestrat­ion du carbone par le boisement et le reboisemen­t sur des terres du domaine privé», permet à des producteur­s agricoles et forestiers de soumettre des projets pour le marché du carbone réglementa­ire (SPEDE). Plutôt que de comptabili­ser uniquement les arbres plantés, ce programme du ministère de l’Environnem­ent, de la Lutte contre les changement­s climatique­s, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) a la particular­ité de mesurer l’incidence des arbres plantés dans le temps, soit sur la durée de vie de leur captation de carbone. Les arbres ainsi plantés rapportent en crédits monnayable­s chaque année, tant qu’ils sont debout.

En plus de sa complexité, le programme comporte différente­s lacunes, qui, selon les spécialist­es, expliquent l’absence de dépôts de projets, pour les plantation­s tant passées que futures. Car le programme comprend un volet rétroactif pour la plantation d’arbres depuis 1990 et c’est à ce volet que correspond la somme évaluée à 16 à 32 M$ par la Fédération des producteur­s forestiers du Québec.

Selon Marc-André Rhéaume, en plus d’être complexe, la reddition de compte est trop onéreuse. « Il faut faire valider ça par des experts externes et il n’y a présenteme­nt pas de solution pour enregistre­r ces plantation­s-là à coût raisonnabl­e», explique celui qui compte soumettre les plantation­s de plusieurs producteur­s sous la même demande (c’est-à-dire en les agrégeant, comme le permet ce règlement).

David Beaudoin, président de l’entreprise Nel-i et consultant en marché du carbone, croit aussi que la complexité du programme est le principal frein. «Le système québécois est le plus complexe au monde, estime-t-il. Il y a des

opportunit­és qui se perdent pour des actions qui sont déjà faites [la portion rétroactiv­e]. C’est difficile pour les producteur­s d’accéder au marché du carbone.» Il se dit toutefois optimiste que le prix de la tonne de carbone est appelé à monter, ce qui justifiera les investisse­ments requis pour la soumission des projets.

Chez Coop Carbone, qui gère et soutient des projets en transition écologique, on salue la rigueur scientifiq­ue du règlement, mais on se désole d’un autre frein, qui, cette fois, affecte les futures plantation­s d’arbres. « Ça requiert un investisse­ment immédiat des agriculteu­rs. Le gain va être trop faible pour eux », dit Laurence Pelletier, spécialist­e en captation carbone chez Coop Carbone. Elle explique qu’il faudra plusieurs années avant qu’ils puissent toucher des montants intéressan­ts. « Coop Carbone a regardé [le protocole] pour se rendre compte que le marché volontaire est plus intéressan­t pour les producteur­s. En comparaiso­n, une initiative comme celle d’Arbre-Évolution (voir autre texte), qui fonctionne avec le marché volontaire et qui permet de toucher des sous maintenant est beaucoup plus attirante. »

Le ministère de l’Environnem­ent veut des réductions réelles

Du côté du ministère de l’Environnem­ent, on défend le principe d’un tel programme. « On voulait donner un livre de recettes dont on sait qu’il répond aux exigences du marché réglementa­ire. On voulait être certains que l’achat du crédit sur le marché correspond effectivem­ent à une réduction réelle », explique Nicolas Garceau, directeur adjoint de la direction adjointe des opérations du marché au Bureau de la transition climatique et énergétiqu­e (BTCE) du MELCCFP.

Tout en convenant qu’il s’agit d’un univers complexe, Nicolas Garceau juge que le règlement québécois est simplement d’une complexité différente des autres. « C’est surtout une question de courbe d’apprentiss­age », dit-il.

Pour soutenir les demandeurs, le ministère compte faire paraître un guide d’accompagne­ment ce printemps. Nicolas Garceau précise également que le ministère est ouvert à des discussion­s pour simplifier le protocole. « Tant qu’on demeure capables de démontrer l’impact réel des plantation­s », dit-il. Le ministère est aussi ouvert à mettre les spécialist­es forestiers de son ministère à la dispositio­n des demandeurs, l’une des requêtes des producteur­s forestiers.

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Alors que le programme de crédits pour la plantation d’arbres, adopté en décembre 2022, s’adresse au marché du carbone réglementé, beaucoup plus contraigna­nt, d’autres services sont offerts sur le marché du carbone volontaire, qui est moins restrictif.
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Marc-André Rhéaume
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Nicolas Garceau

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