Crédits compensatoires pour la plantation d’arbres : aucune demande en plus d’un an
Instauré il y a un peu plus d’un an, un programme de crédits carbone compensatoires accordés pour la plantation d’arbres n’a reçu aucune demande de la part d’agriculteurs.
« On a évalué qu’on a 100 000 hectares d’admissibles pour une valeur de 16 à 32 M$ de revenus pour les propriétaires de terres forestières. Mais aucun projet n’a été soumis, entre autres parce que c’est trop complexe», rapporte Marc-André Rhéaume, directeur général adjoint de la Fédération des producteurs forestiers du Québec.
Le programme, encadré par un règlement appelé «Séquestration du carbone par le boisement et le reboisement sur des terres du domaine privé», permet à des producteurs agricoles et forestiers de soumettre des projets pour le marché du carbone réglementaire (SPEDE). Plutôt que de comptabiliser uniquement les arbres plantés, ce programme du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) a la particularité de mesurer l’incidence des arbres plantés dans le temps, soit sur la durée de vie de leur captation de carbone. Les arbres ainsi plantés rapportent en crédits monnayables chaque année, tant qu’ils sont debout.
En plus de sa complexité, le programme comporte différentes lacunes, qui, selon les spécialistes, expliquent l’absence de dépôts de projets, pour les plantations tant passées que futures. Car le programme comprend un volet rétroactif pour la plantation d’arbres depuis 1990 et c’est à ce volet que correspond la somme évaluée à 16 à 32 M$ par la Fédération des producteurs forestiers du Québec.
Selon Marc-André Rhéaume, en plus d’être complexe, la reddition de compte est trop onéreuse. « Il faut faire valider ça par des experts externes et il n’y a présentement pas de solution pour enregistrer ces plantations-là à coût raisonnable», explique celui qui compte soumettre les plantations de plusieurs producteurs sous la même demande (c’est-à-dire en les agrégeant, comme le permet ce règlement).
David Beaudoin, président de l’entreprise Nel-i et consultant en marché du carbone, croit aussi que la complexité du programme est le principal frein. «Le système québécois est le plus complexe au monde, estime-t-il. Il y a des
opportunités qui se perdent pour des actions qui sont déjà faites [la portion rétroactive]. C’est difficile pour les producteurs d’accéder au marché du carbone.» Il se dit toutefois optimiste que le prix de la tonne de carbone est appelé à monter, ce qui justifiera les investissements requis pour la soumission des projets.
Chez Coop Carbone, qui gère et soutient des projets en transition écologique, on salue la rigueur scientifique du règlement, mais on se désole d’un autre frein, qui, cette fois, affecte les futures plantations d’arbres. « Ça requiert un investissement immédiat des agriculteurs. Le gain va être trop faible pour eux », dit Laurence Pelletier, spécialiste en captation carbone chez Coop Carbone. Elle explique qu’il faudra plusieurs années avant qu’ils puissent toucher des montants intéressants. « Coop Carbone a regardé [le protocole] pour se rendre compte que le marché volontaire est plus intéressant pour les producteurs. En comparaison, une initiative comme celle d’Arbre-Évolution (voir autre texte), qui fonctionne avec le marché volontaire et qui permet de toucher des sous maintenant est beaucoup plus attirante. »
Le ministère de l’Environnement veut des réductions réelles
Du côté du ministère de l’Environnement, on défend le principe d’un tel programme. « On voulait donner un livre de recettes dont on sait qu’il répond aux exigences du marché réglementaire. On voulait être certains que l’achat du crédit sur le marché correspond effectivement à une réduction réelle », explique Nicolas Garceau, directeur adjoint de la direction adjointe des opérations du marché au Bureau de la transition climatique et énergétique (BTCE) du MELCCFP.
Tout en convenant qu’il s’agit d’un univers complexe, Nicolas Garceau juge que le règlement québécois est simplement d’une complexité différente des autres. « C’est surtout une question de courbe d’apprentissage », dit-il.
Pour soutenir les demandeurs, le ministère compte faire paraître un guide d’accompagnement ce printemps. Nicolas Garceau précise également que le ministère est ouvert à des discussions pour simplifier le protocole. « Tant qu’on demeure capables de démontrer l’impact réel des plantations », dit-il. Le ministère est aussi ouvert à mettre les spécialistes forestiers de son ministère à la disposition des demandeurs, l’une des requêtes des producteurs forestiers.