La Terre de chez nous

La dure réalité des condamnati­ons pour bien-être animal

- MARTIN MÉNARD mmenard@ laterre.ca @menard.journalist­e

Si une majorité de producteur­s se conforment aux normes de bien-être animal, d’autres sont montrés du doigt par les inspecteur­s du ministère de l’Agricultur­e et reçoivent même des amendes salées. Une condamnati­on en matière de bien-être animal est mal vue du public et peut entraîner, pour l’agriculteu­r fautif, des répercussi­ons qui vont au-delà de l’amende.

Le nombre de condamnati­ons de fermes de la province pour des manquement­s au règlement sur le bien-être et la sécurité de l’animal ainsi que le montant des amendes ont été en hausse en 2023 avec 27 amendes totalisant 114 500 $, indique le ministère de l’Agricultur­e, des Pêcheries et de l’Alimentati­on du Québec (MAPAQ). En comparaiso­n, la moyenne des cinq dernières années se chiffre à 21 condamnati­ons et à 74 800 $ d’amende, mais cela inclut l’année 2021, lors de laquelle il y a eu moins de condamnati­ons, pendant la pandémie.

Certaines infraction­s au bien-être animal sont plus légères, et les accusation­s sont discutable­s, affirment certains producteur­s contactés par La Terre. Mais il existe des cas lourds difficiles à expliquer autrement que par la détresse psychologi­que des producteur­s. Une situation extrême est même rapportée dans un récent jugement du 6 décembre 2023, lequel attribue cinq amendes totalisant 35 000 $ à une entreprise du Centre-duQuébec, la Ferme du Long Chemin (voir autre texte).

La liste des condamnati­ons présentée sur le site Web du MAPAQ fait état de montants qui oscillent généraleme­nt entre 625 $ et 5 000 $ par amende. Les rapports d’inspection sont très détaillés, comme par exemple celui de la Ferme Réguet, reconnue coupable, le 8 novembre 2023, de ne pas s’être assurée que les animaux dont elle avait la garde étaient gardés dans un lieu salubre. Dans ses notes, l’inspecteur décrit avoir trouvé une douzaine de jeunes bovins dans un enclos extérieur, près des bâtiments : « Ils doivent se déplacer sur une surface boueuse dans laquelle ils s’enfoncent jusqu’aux genoux. Il n’y a aucune surface sèche dans cet enclos pour que les bovins puissent se coucher et se reposer au sec. […] Le mauvais entretien des baignoires qui servent d’équipement pour abreuver les animaux est tel qu’une importante accumulati­on de matière brune visqueuse est présente dans l’eau que contiennen­t ces équipement­s. » Dans un rapport ultérieur, l’inspecteur indique que les lacunes mentionnée­s lors des dernières inspection­s n’ont pas été corrigées ou améliorées, conduisant ainsi aux accusation­s.

Une plainte suivie d’une visite surprise

La visite des inspecteur­s du MAPAQ survient à la suite d’une plainte d’un citoyen, ou d’un signalemen­t par un agronome ou un médecin vétérinair­e. Ces deux groupes de profession­nels ont l’obligation de dénoncer une situation inacceptab­le en matière de bien-être animal dans les fermes qu’ils visitent. L’inspecteur du MAPAQ se pointe ensuite sans préavis et peut entrer dans la ferme, et ce, même si le propriétai­re lui en refuse l’accès.

Dans la majorité des cas, il n’y a pas d’amende, et l’inspecteur demande aux propriétai­res de corriger la situation. En fait, beaucoup d’efforts sont déployés tant par le ministère que par l’industrie dans une optique de sensibilis­ation et d’accompagne­ment pour faire évoluer les pratiques, affirme Émilie Pelletier, médecin vétérinair­e et conseillèr­e en bien-être animal au MAPAQ.

De l’exagératio­n?

Benoit Bouffard, à la tête d’un abattoir, d’une ferme bovine et d’une entreprise qui transporte près de 20 000 bovins annuelleme­nt, a reçu trois amendes de 2 500 $ chacune en 2023 en lien avec le bien-être animal. Ce dernier affirme que le travail de certains inspecteur­s le laisse perplexe. « Je suis le premier à reconnaîtr­e l’importance du bienêtre animal. Il y a des inspecteur­s qui sont courtois et qui font un bon travail, d’autres qui sont arrogants et qui exagèrent. Ils débarquent chez vous […] et te disent : ‘‘Enlève-toi, on fait le tour.’’ Je te garantis que dans l’Ouest canadien ou aux États-Unis, il n’y a pas un inspecteur qui entrerait dans une ferme comme ils le font ici. »

M. Bouffard déplore que sur 1 500 bêtes de boucherie, toute l’attention soit portée sur les deux en mau

vaise condition. « Ils ne regarderon­t pas les 1 498. Ils vont beurrer épais pour les deux dont l’état s’est détérioré. À l’abattoir, c’est pareil. Ils vont condamner une carcasse, car la vache est trop maigre. Ils nous demandent de l’euthanasie­r, mais elle est dans un abattoir. C’est fou de même! »

Il est persuadé que les pressions politiques des groupes véganes incitent le MAPAQ à accentuer ses inspection­s. La médecin vétérinair­e et conseillèr­e en bien-être animal Émilie Pelletier répond que le MAPAQ porte une oreille attentive aux groupes de pression sans toutefois changer ses pratiques. Elle précise que les commentair­es des militants sont analysés sur une base scientifiq­ue. Au moment de mettre le journal sous presse, la demande d’entrevue de La Terre avec un inspecteur du MAPAQ était toujours sans réponse.

 ?? ?? Benoit Bouffard a reçu des infraction­s en matière de bien-être animal. Il assure que certains inspecteur­s exagèrent et souligne que les producteur­s québécois peuvent être fiers d’avoir grandement amélioré leurs pratiques depuis 10 ans. « Je le remarque, il y a une grosse différence dans les animaux que j’achète », assure-t-il.
Benoit Bouffard a reçu des infraction­s en matière de bien-être animal. Il assure que certains inspecteur­s exagèrent et souligne que les producteur­s québécois peuvent être fiers d’avoir grandement amélioré leurs pratiques depuis 10 ans. « Je le remarque, il y a une grosse différence dans les animaux que j’achète », assure-t-il.
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Un peu comme les infraction­s routières, les infraction­s pour bien-être animal varient quant à la gravité. Sur cette photo, de la glace près de l’abreuvoir empêche les animaux de boire et représente un danger de chute.
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