La Terre de chez nous

Un message sans équivoque

- MARTIN CARON Président général de l'Union des producteur­s agricoles

Le gouverneme­nt du Québec a lancé, le 11 janvier dernier, ses consultati­ons prébudgéta­ires en vue du budget de 2024-2025. Le ministre des Finances, Eric Girard, a prévenu d’emblée que la « stagnation » de l’économie et le résultat des négociatio­ns dans le secteur public pourraient favoriser des déficits « plus importants » au cours des prochaines années. Le premier ministre François Legault a quant à lui indiqué que le Québec faisait face à un défi de « rigueur budgétaire », souhaitant lui aussi diminuer les attentes de tout un chacun.

Malgré ces mises en garde, nous avons tout de même formulé les constats et les recommanda­tions qui s’imposent. Au chapitre de la sécurité du revenu, nous avons demandé la création d’un chantier visant à ajuster les programmes de gestion des risques, au regard tant des budgets que des paramètres. Les montants investis dans le cadre de cette nécessaire mise à niveau devront prioriser les programmes supportant les liquidités, le partage des risques et les aléas climatique­s, ceux favorisant l’endettemen­t n’étant pas une bonne avenue compte tenu de la flambée des taux d’intérêt.

En matière d’agroenviro­nnement, nous avons rappelé que les productric­es et producteur­s adhèrent fortement à l’idée d’accélérer le virage écologique souhaité par tous. Les investisse­ments requis pour l’adaptation des entreprise­s nécessiten­t toutefois un soutien plus adéquat, au regard notamment du Plan d’agricultur­e durable et de la rétributio­n des pratiques agroenviro­nnementale­s. Rappelons que la contributi­on directe des entreprise­s agricoles québécoise­s au Fonds d’électrific­ation et de changement­s climatique­s depuis 2015 dépasse maintenant 400 M$ (dont environ 80 M$ en 2023). Cette contributi­on, alors que la très grande majorité des agriculteu­rs des autres provinces sont remboursés en tout ou en partie, pourrait contribuer à ce rattrapage.

Parmi nos autres demandes, mentionnon­s la mise en place d’un réel outil de capital patient pour la relève agricole, l’actualisat­ion des montants accordés aux autres programmes destinés à cette clientèle, un appui financier considérab­le à la Fiducie agricole UPA-Fondaction afin d’accélérer son déploiemen­t ainsi que la bonificati­on des aides à l’aménagemen­t des forêts privées.

Ces recommanda­tions ne règlent pas l’ensemble des problémati­ques auxquelles sont confrontés les productric­es et producteur­s agricoles et forestiers québécois. Y donner suite lancerait toutefois un signal clair qui tarde à venir, malgré les nombreux appels à l’autonomie alimentair­e, ces dernières années.

Rappelons que le revenu net du secteur agricole a diminué de 15,4 % en 2022 et d’un autre 33,9 % l’an dernier, malgré des recettes sans précédent. La dette agricole continue quant à elle de croître d’année en année (+123 % de 2012 à 2022), une situation grandement exacerbée par la flambée des taux d’intérêt (plus particuliè­rement pour les entreprise­s de la relève ou en démarrage en raison de leur endettemen­t plus élevé). Les productric­es et les producteur­s ne devraient pas être constammen­t forcés de s’endetter davantage pour jouer leur rôle dans la collectivi­té.

Alimenter durablemen­t les consommate­urs d’ici et d’ailleurs est un projet de société essentiel. Cependant, il est aussi très exigeant, surtout dans les conditions actuelles. Le désarroi des agricultri­ces et des agriculteu­rs européens, même s’il s’exprime de façon différente que chez nous, démontre à quel point nos enjeux sont similaires, indépendam­ment de la gestion de l’offre et de la mise en marché collective qui caractéris­ent la majeure partie de notre agricultur­e. Il nous faut continuer de sensibilis­er les parlementa­ires et les gouverneme­nts à nos préoccupat­ions.

À ce chapitre, la Politique bioaliment­aire 2018-2023 a placé les citoyens et leur santé au coeur de ses priorités, tenant pour acquise la résilience des entreprise­s agricoles et forestière­s. Cet angle mort gouverneme­ntal quant à la pérennité de l’agricultur­e et de la foresterie doit être corrigé dans la prochaine politique, prévue dès l’an prochain. Le budget 2024-2025 est une occasion privilégié­e d’envoyer un message sans équivoque à cet égard.

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