Des coopératives en appétit de croissance
Avec des chiffres d’affaires qui s’élèvent à plus de 8 G$, les coopératives Agropur et Sollio Groupe Coopératif sont devenues, au fil de leurs acquisitions, de véritables géants de l’agroalimentaire. Mais les idées de grandeur de ces deux fleurons québéco
À l’instar d’autres confrères, le producteur laitier Sylvain Fraser, qui est membre d’Agropur, croit que de devenir « trop gros, trop vite » va à l’encontre de la mission d’une coopérative. « Il ne faut pas que ce soit administré comme des compagnies cotées en bourse qui ne misent que sur la croissance à tout prix », estime-t-il. Cet agriculteur de Saint-Adelphe, en Mauricie, reconnaît d’ailleurs préférer la gestion actuelle de sa coop parce qu’elle préconise moins « l’extravagance » et plus « la simplicité » qu’il y a quelques années.
Vers 2019, Agropur a entrepris un grand régime minceur en se départissant d’actifs dans l’optique de réduire sa lourde dette, après avoir investi massivement dans divers projets d’expansion aux États-Unis et pour la construction d’un nouveau siège social. Sollio Groupe Coopératif a suivi un chemin similaire, après avoir fait des acquisitions dans les secteurs du porc et des grains qui ont été moins profitables qu’escompté et qui ont mené à une période de consolidation et de fermetures, comme celle de l’usine Olymel de Vallée-Jonction.
Dans un contexte où plusieurs décisions d’affaires de ces organisations ont été critiquées par des membres, ces dernières années, il est tentant de se demander si les coopératives, lorsqu’elles grossissent à ce point, dérogent de leur mission de base et s’éloignent de la raison d’être de leur modèle.
« Des acquisitions et des investissements, ce n’est pas anti-coopératif », répond Michel Séguin, cotitulaire de la Chaire de coopération Guy Bernier à l’École des sciences de la gestion de Université du Québec à Montréal. « L’important n’est pas de savoir si la coop est grosse ou petite, c’est de savoir si elle travaille dans l’intérêt des membres. »
François Dauphin, président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, est du même avis, mais signale que « l’appétit de croissance pour offrir quelque chose de plus grand, plus beau à ses membres », même s’il émane d’une bonne intention, peut amener une coopérative à dénaturer certaines de ses activités d’origine et à « prendre des décisions un peu plus périlleuses ».
Le défi de consulter en restant efficace
Rester connecté aux besoins souvent hétéroclites des membres en les consultant régulièrement, tout en demeurant efficace dans la prise de décision, est un défi de taille pour les grandes coopératives, relève-t-il par ailleurs.
« Ce sont des organisations extrêmement démocratiques dans leur façon d’opérer […]. Souvent, ça multiplie les instances de consultation et de gouvernance pour faire de la place aux membres qui vont avoir des intérêts un peu divergents », exprime M. Dauphin. À son avis, il est important de sonder, mais trop le faire alourdit le travail d’arbitrage du conseil d’administration.