La Terre de chez nous

Investir plus tôt que tard

- MARTIN CARON Président général de l'Union des producteur­s agricoles

Legouverne­mentduQuéb­ecaannoncé, dans son discours sur le budget 20242025, un manque à gagner de 11 G$. Ce déficit record (presque quatre fois plus élevé que prévu) est conséquent avec les mises en garde des dernières semaines, tant du côté du ministre des Finances, Eric Girard, que de celui du premier ministre, François Legault. Ce « défi de rigueur » ne justifie toutefois pas l’absence complète de mesures pour venir en aide aux milliers d’entreprise­s agricoles en difficulté.

Ces deux dernières années, nous avons démontré à maintes reprises que l’agricultur­e québécoise est plus touchée que d’autres secteurs par l’inflation, l’endettemen­t et la flambée des taux d’intérêt. Nous avons aussi alerté les décideurs quant à l’urgence d’intervenir rapidement, les ajustement­s aux programmes existants et les diverses mesures dites « d’urgence » s’avérant une réponse imparfaite et incomplète compte tenu de l’ampleur des besoins.

Passer outre les attentes légitimes d’un secteur qui a démontré à maintes reprises son engagement et sa résilience est d’autant plus mal avisé que plusieurs y verront une indifféren­ce flagrante quant aux problémati­ques vécues sur le terrain. La déception et la frustratio­n qui en résultent ont toutes les chances d’alimenter le mécontente­ment déjà bien tangible dans plusieurs régions. Les récentes manifestat­ions à Rimouski, à La Malbaie et à BaieComeau n’en sont qu’un avant-goût, et les autorités gouverneme­ntales concernées auraient tort de sous-estimer le désarroi exprimé par les participan­ts ou de croire qu’il n’est pas partagé par des milliers de productric­es et producteur­s partout sur le territoire.

Il est toutefois encore temps de rectifier le tir. À l’instar de ses réalisatio­ns en matière d’autonomie alimentair­e, d’agricultur­e durable et de rétributio­n des pratiques agroenviro­nnementale­s, le gouverneme­nt québécois doit intervenir de façon tout aussi inspirée face à l’endettemen­t croissant des entreprise­s, à l’inefficaci­té des programmes de gestion des risques, au soutien insuffisan­t à la relève, à la surenchère réglementa­ire et au fardeau administra­tif.

Les 50 M$ sur cinq ans annoncés pour bonifier le Programme Investisse­ment Croissance Durable de La Financière agricole du Québec (FADQ) serviront possibleme­nt à bonifier la mesure d’aide d’urgence pour les entreprise­s agricoles instaurée l’an dernier (garantie de prêt de fonds de roulement), mais le discours sur le budget ne le précise pas. Cela dit, les deux paliers de gouverneme­nt pourraient alléger, à très court terme, la précarité financière de plusieurs entreprise­s en bonifiant les protection­s existantes contre la hausse des taux d’intérêt (comme celles disponible­s à la FADQ). Les autres 50 M$ annoncés pour l’acquisitio­n de terres pour la relève agricole pourraient quant à eux contribuer aux activités de la Fiducie agricole UPA-Fondaction, qui fait de plus en plus ses preuves sur le terrain.

Mentionnon­s par ailleurs que « l’examen complet des dépenses fiscales et budgétaire­s du gouverneme­nt », annoncé par le ministre Girard pour revenir à l’équilibre budgétaire, n’est pas passé inaperçu. Le milieu agricole garde un très mauvais souvenir de la Commission de révision permanente des programmes (Commission Robillard), créée en 2014 pour les mêmes raisons. Pilotée par des intervenan­ts sans connaissan­ces particuliè­res du milieu et préconisan­t une approche strictemen­t comptable, cette dernière a recommandé, dès son premier rapport, de mettre fin au Programme d’assurance stabilisat­ion des revenus agricoles, qualifié de « trop généreux ».

Dénoncée de toutes parts, cette recommanda­tion n’a finalement pas été retenue. Mais il est clair que l’exercice envisagé par M. Girard devra impérative­ment jeter son dévolu sur un autre secteur d’activité. Des recommanda­tions de même nature, au moment où un nombre substantie­l d’entreprise­s agricoles remettent en question leur avenir, seraient perçues comme de la pure provocatio­n. Il n’y a pas d’autres mots pour le dire.

Du côté forestier, le gouverneme­nt du Québec prévoit injecter 147 M$ sur cinq ans pour soutenir les investisse­ments sylvicoles en forêt privée et, incidemmen­t, y accroître l’approvisio­nnement en bois. C’est donc dire que lorsqu’on veut, on peut. Au chapitre de l’agricultur­e, le gouverneme­nt doit tout mettre en oeuvre pour que nos entreprise­s puissent continuer de nourrir sainement les Québécoise­s et Québécois tout en participan­t activement au développem­ent économique de nos régions. Cet objectif prioritair­e suppose beaucoup plus que 0,95 % du budget de l’État (2024-2025). Il faut investir, et ce, plus tôt que tard.

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