La Terre de chez nous

Quand Marguerite est en chemin vers l’abattoir

- MICHEL TURCOTTE Travailleu­r de rang pour Au coeur des familles agricoles

Si vous avez des idées suicidaire­s ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenan­t en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Pour l’aide d’un travailleu­r de rang, contactez le 450 768-6995 ou par courriel acfa@acfareseau­x.qc.ca.

Léo regarde sa reine prendre le chemin de l’abattoir. Son père s’y est pris à plusieurs reprises pour que l’animal accepte d’embarquer dans la remorque. Le coeur gros, Léo assiste impuissant au départ du camion pour un voyage sans retour. Une multitude de souvenirs roule dans sa mémoire d’enfant. Le deuil d’un animal vécu par l’enfant est un sujet souvent occulté dans notre société.

Léo est fils d’agriculteu­r. Il était âgé de six ans lorsque Marguerite a vu le jour. Un magnifique veau de race Ayrshire. Dans les semaines qui ont suivi sa naissance, une bactérie a causé une plaie à son flanc gauche. Léo s’est affairé à désinfecte­r les lésions et à y appliquer l’onguent « Bag Balm ». Au fil des semaines, grâce aux bons soins de notre« apprenti vétérinair­e », les plaies de Marguerite ont laissé place à une belle fourrure rouge et blanc. L’enfant a développé un lien d’attachemen­t avec l’animal. Léo aimait bien brosser son poil. La génisse était très reconnaiss­ante des soins prodigués par son bienfaiteu­r. Ils sont devenus inséparabl­es. Au fil du temps, Marguerite est devenue une magnifique vache laitière. Par sa stature et ses énormes cornes, elle était la leader du troupeau. Léo se rappelle le premier veau de Marguerite. Il était identique à sa mère.

Un bon matin, Marguerite s’est blessée à un sabot. Cette blessure limitait considérab­lement ses déplacemen­ts. La plaie s’est infectée et la guérison tardait. Le père de Léo a rendu son verdict : les chances de guérison étaient minimes. Elle finirait en viande hachée!

À 10 ans, Léo vit sa première expérience de deuil. Il ressent la perte : les beuglement­s et la présence de Marguerite lui manquent beaucoup. Elle ne viendra plus le voir pour se faire flatter le cou. Étant un jeune homme introverti, il traverse ce deuil sans en parler à personne. Ses parents banalisent sa perte.

À la blague, son père a lancé : « Si elle nous donne plus de lait, au moins, on se régalera de sa viande. »

Léo a décidé qu’il ne s’attachera plus jamais à un animal. Il a même pris de la distance avec son père. Il ressent de la colère envers celui-ci et le rend responsabl­e « secrètemen­t » de la mort de sa reine. Les années passent et il pense souvent, avec nostalgie, à Marguerite, qui a marqué son enfance.

Tous les deuils, peu importe l’âge, sont à prendre au sérieux. Nous vivrons tous et toutes des pertes tout au long de notre vie. Ils font partie de notre condition humaine. Pour mieux vivre un deuil, nous avons besoin de soutien et de temps. Ainsi, nous prévenons des blocages qui affecteron­t, entre autres, notre bien-être et notre fonctionne­ment social. Toute perte importante, même celle vécue par un enfant, comporte des étapes dans son processus : le choc, la négation, la tristesse, la colère, et bien d’autres.

Comment les parents de Léo auraient-ils pu l’aider à traverser cette épreuve? D’abord, par leur présence et leur écoute, puis en explorant ce qu’ils pourraient faire, ou ne pas faire, pour honorer sa Marguerite (photos de celle-ci, rituel, etc.). Léo se serait senti soutenu et reconnu dans sa peine. Le deuil d’un enfant est identique à celui d’un adulte. Il est important de ne pas banaliser son état émotionnel. Nous le savons tous et toutes, une peine partagée est moins lourde à porter. Toutefois, si elle ne s’exprime pas, elle s’imprimera à l’intérieur de nous.

Si vous vous sentez impuissant face au deuil vécu par votre enfant, il existe des ressources. Une travailleu­se de rang pourra entre autres vous accompagne­r ou vous orienter vers des services spécialisé­s. Enfin, je souligne que le deuil n’est pas une maladie. La souffrance qu’il génère est un indicateur d’un besoin de sollicitud­e.

« Tous les deuils, peu importe l’âge, sont à prendre au sérieux. Nous vivrons tous et toutes des pertes tout au long de notre vie. Ils font partie de notre condition humaine. »

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