La fin des «cabanes » à sucre?
Les acheteurs internationaux posent de plus en plus de questions sur les règles de salubrité encadrant la production du sirop d’érable. Un guide de bonnes pratiques est présentement en élaboration au Québec afin d’inciter les producteurs acéricoles à adopter des standards de salubrité et de sécurité alimentaire. Si ce guide risque de heurter certains acériculteurs, d’autres ont déjà pris les devants.
Le Conseil de l’industrie de l’érable, qui représente les acheteurs et transformateurs, souhaite que les producteurs de sirop s’engagent par écrit à appliquer des normes de salubrité et de sécurité alimentaire dès la saison 2025. Les producteurs qui désirent exporter leur sirop devront tranquillement délaisser les « cabanes » à sucre encore rustiques, croit Marie-Ève Darveau, directrice d’une entreprise exportatrice des produits de l’érable située à Ham-Nord, dans le Centre-du-Québec. « Les normes sont devenues très pointilleuses pour la transformation alimentaire, comme ici, à l’usine, vous n’avez pas idée de tout ce qu’on doit suivre pour être conforme. Les producteurs acéricoles, c’est encore un autre monde, car présentement, ils ne sont pas forcés de suivre des obligations sur la salubrité et il en reste encore plusieurs qui n’ont pas la mentalité d’une production de grade alimentaire. [Ces derniers] vont devoir se poser la question : est-ce qu’ils veulent faire du sirop pour s’amuser ou ils veulent faire de la business? », mentionne Mme Darveau.
Elle souligne que la cabane à sucre folklorique aura toujours sa place. «Mais si c’est de la business qu’ils veulent faire, et si on veut continuer à développer le sirop à l’international à la vitesse qu’on veut, il faut une étiquette de qualité. Et il faut passer d’une mentalité de cabane vers une mentalité d’entreprise acéricole », insiste la directrice de l’Érablière des chutes.
Ses clients exigent que son usine de transformation soit certifiée et auditée chaque année par des firmes indépendantes, ce qui nécessite des investissements majeurs et constants. « Mais c’est ça, la réalité, si on veut vendre du sirop», dit celle dont l’entreprise exporte notamment aux États-Unis et au Japon.
Proactifs plutôt que réactifs
Le co-président du Conseil de l’industrie de l’érable (CIE), Louis Turenne, abonde dans le même sens et précise que les grands détaillants des autres pays exigent que toutes les entreprises impliquées dans la création d’un produit alimentaire, même les fournisseurs de bouteilles et de bouchons, soient conformes à des normes rigoureuses de salubrité et de sécurité alimentaires. Cela signifie, selon lui, qu’il est temps que les acériculteurs emboîtent le pas également.
Le CIE s’attend à ce que tout le sirop classé par les Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ) rencontre des normes minimales de salubrité et de sécurité dès 2025. Il veut même que ce soit inscrit dans la prochaine convention de mise en marché. Pour s’assurer de l’application des normes, M. Turenne souhaite un engagement signé des producteurs et des audits qui seraient réalisés de façon aléatoire sur un échantillon d’érablières. « Il faut s’adapter sans attendre. Dans le dossier du plomb, l’industrie a été réactive; il a fallu une poursuite de la Californie [pour agir]. Ce n’est pas une bonne façon de travailler. Nos clients veulent qu’on soit proactif», affirme-t-il.
Chez les PPAQ, le directeur des communications, Joël Vaudeville, confirme qu’un guide de bonnes pratiques est en cours d’élaboration. La version finale devrait être présentée aux producteurs en mai prochain lors de leur assemblée générale annuelle. Il mentionne qu’il s’agit d’un guide indicatif et non punitif pour les producteurs. Il soutient néanmoins qu’un tel guide est nécessaire, compte tenu de certaines données, dont les résultats d’une étude de 2020 qui a révélé que près de 20 % des 103 échantillons de sirop analysés affichaient une concentration en chlorates supérieure à la norme européenne.
« On sait que la vaste majorité des producteurs veulent faire un sirop de qualité qu’ils puissent vendre sur les marchés. Notre job, c’est de les aider », souligne M. Vaudeville. Le guide donnera donc des conseils sur différents thèmes, comme de s’assurer que la structure du bâtiment où est produit le sirop est hermétique et ne laisse pas entrer la vermine, qu’il y a une bonne gestion des déchets, que le sirop est mis en baril en respectant des critères qui empêchent sa détérioration lors de l’entreposage.
Pas tous au même niveau
Autant le CIE que les PPAQ savent que certains producteurs partiront de plus loin que d’autres pour se conformer à des normes de salubrité et ils s’en sentiront sûrement contrariés.
Pour sa part, l’acériculteur d’expérience Yvon Grégoire, qui a connu l’époque des sucres avec les chevaux, n’y voit que du positif. Ce producteur détenant 8 000 entailles dans Lanaudière applique déjà avec fierté de nombreuses normes de salubrité et de sécurité alimentaires. « Si je compare à avant, j’aime mieux ça aujourd’hui. C’est plus propre et plus facile à opérer. C’est une fierté aussi d’évoluer », affirme-t-il.
Le producteur estime qu’un produit qui est vendu haut de gamme ne doit pas l’être seulement pour son goût. « Il faut que ce soit haut de gamme au niveau de la production aussi. S’il rentrait un acheteur japonais ou étranger ici, je ne serais pas inquiet. Il verrait que tout est correct, et même plus. »