AU COEUR DE L’HISTOIRE RÉGIONALE
Fondée en 1935, La Voix de l’Est a toujours été aux premières loges du développement de la ville de Granby et de la région. La naissance du média régional est aussi, et surtout, le fruit du contexte sociopolitique de l’époque, raconte Mario Gendron, historien à la Société d’histoire de la HauteYamaska (SHHY).
« Si la bourgeoisie francophone n’avait pas commencé à se développer à partir de 1910 environ, il n’y aurait jamais eu La Voix de
l’Est », dit-il.
Un hebdomadaire à l’origine, le journal a été lancé par un groupe d’hommes d’affaires francophones de Granby, parmi lesquels figurent celui qui occupera la mairie de Granby, Horace Boivin ; l’homme politique fédéral et municipal, Joseph-Hermas Leclerc, ainsi que l’industriel, également journaliste, Aimé Laurion. Fondée au même moment, l’imprimerie Rapide sera officiellement propriétaire du média.
La Voix de l’Est est ainsi devenue « un véhicule d’affirmation » pour les Granbyens aux idées « plus libérales », explique M. Gendron. À cette même époque, un autre hebdomadaire, La Revue, fondé en 1930, affichait plutôt des idées conservatrices. Même chose pour
Le Journal de Waterloo et le Leader-Mail, un média anglophone. Les idées « plus progressistes », véhiculées par La Voix de L’Est,
« ont percé plus facilement que les idées conservatrices », relève l’historien. Cela a contribué à façonner le développement local, voire régional. Et le journal, publié de façon quotidienne à partir de 1945, a rapporté, voire participé, à tous les grands et petits bouleversements économiques, politiques et sociaux de l’époque jusqu’à aujourd’hui.
SOUVENIRS FAMILIAUX
La Voix de l’Est a occupé une place prépondérante au coeur de la famille Boivin, témoignent Élyse et Lynne Boivin, deux des 11 enfants d’Horace Boivin, maire de Granby de 1939 à 1964, et qui fut également fondateur du Zoo de Granby.
« Pour mon père, c’était tellement important d’avoir un journal local, raconte Élyse Boivin. Une fois que ça a été fait, il s’est mis à se battre pour autre chose, comme avoir des parcs, des fontaines et un zoo. »
Pour sa part, Lynne Boivin se souvient, alors qu’elle était jeune adolescente, avoir fait la lecture de plusieurs articles de La Voix de l’Est à son père, lorsqu’il était attablé pour souper. Un rituel auquel ont participé d’autres enfants de la fratrie. « Ça lui permettait de manger et, nous, on pratiquait la lecture et ça nous sensibilisait à l’actualité locale et internationale », dit-elle.
La Voix de L’Est était également « sacrée » pour la conjointe d’Horace Boivin, Frances Bergeron. Selon ses filles, celle qui profitait d’un « abonnement à vie » a toujours accordé, jusqu’à son décès, une grande importance au journal local. « Le journal était une expansion de la vie de la famille, dit Élyse Boivin. C’était un sujet de conversation quotidien chez nous. »
DE NOUVEAUX PROPRIÉTAIRES
Sur une lancée en 1945, le journal, toujours imprimé à Granby, devient la propriété de La Voix
de l’Est Limitée. Il compte alors 75 employés et son chiffre d’affaires atteint un demi- million $, selon une publication de la SHHY. Il possède même à partir de 1948 des bureaux à Cowansville, Farnham, Waterloo, Marieville, Saint-Jean-sur- Richelieu et Saint-Hyacinthe.
La Voix de l’Est est une entreprise ambitieuse. En 1959, elle achète la station radiophonique CHEFAM. Ses presses impriment à cette époque des dizaines de publications, selon la Société d’histoire.
Une nouveau chapitre s’écrit à partir de 1968, alors que La Voix
de l’Est Limitée passe dans le giron des Journaux Trans-Canada, qui deviendra Gesca, une filiale de Power Corporation. Celle- ci est également, à l’époque, propriétaire de La Presse à Montréal, du
Nouvelliste à Trois-Rivières et de
La Tribune, à Sherbrooke. C’est d’ailleurs à partir de 1977 que le média de Granby est imprimé à La
Tribune, toujours selon les informations de la SHHY.
Parmi les autres dates charnières : l’adoption du format tabloïd en 1982, le lancement de l’hebdomadaire Le Plus en 1985, de même que la fermeture de CHEF-AM, en 1996.
En 2000, trois autres quotidiens régionaux sont acquis par Gesca :
Le Droit d’Ottawa, Le Quotidien de Saguenay et Le Soleil de Québec. En 2015, les six quotidiens régionaux changent de mains et deviennent la propriété de l’exministre libéral Martin Cauchon, qui crée le Groupe Capitales Médias. Mais l’aventure n’est pas de tout repos, les revenus publicitaires ayant commencé à migrer vers les géants du Web, dont Google et Facebook.
ENVERS ET CONTRE TOUS
La suite de l’histoire de La Voix
de l’Est en est une de résilience et de détermination. Confrontés à la faillite du Groupe Capitales Médias en 2019, les employés des quotidiens régionaux fondent la Coopérative nationale de l’information indépendante ( CN2i) afin de racheter les six médias, au coût symbolique de 1 $. La CN2i est notamment soutenue par les acteurs locaux des quotidiens régionaux, le gouvernement du Québec, le syndicat de la Fédération nationale des communications et de la culture de la CSN, et d’autres partenaires financiers.
Rien n’est simple. Dans la foulée de ces événements, le fonds de pension des employés et des retraités diminue de près de 30 % en raison d’un déficit actuariel du régime de retraite.
Et les défis demeurent grands, alors que tous les médias sont désormais confrontés à une crise.
Durant la pandémie, en 2020, la publication des éditions papier en semaine est abandonnée. Les plateformes numériques sont priorisées.
Le 30 décembre 2023 marque un autre tournant dans l’histoire de
La Voix de l’Est et des autres quotidiens régionaux avec la fin de la publication de l’édition papier du samedi. Cela représente le début d’une nouvelle ère 100 % numérique, qui permet d’envisager l’avenir avec optimisme.
MÊME MISSION
Dans toute cette histoire rapportée à grands traits, une conclusion s’impose cependant. La Voix de
l’Est, comme les autres quotidiens régionaux, n’a jamais dérogé à sa mission d’information première. Et ce, même si la route s’est faite cahoteuse au fil du temps.
Le média a pu compter — et continue de le faire — sur une flopée d’employés dévoués et de journalistes rigoureux. L’historien Mario Gendron relève, parmi ceux-ci, l’apport de l’ex-éditorialiste Valère Audy, qui a consacré plus de 40 ans à rapporter et analyser l’actualité régionale.
Les journaux sont « le reflet » de leur époque, fait valoir M. Gendron. Dans la région, aucun n’a traversé les décennies comme le quotidien de Granby.
« Si on n’avait pas eu La Voix
de l’Est depuis 1935, on n’aurait jamais pu faire l’histoire de Granby comme on l’a faite, estime l’historien. Parce que les faits, les événements, les choses de la vie, c’est dans La Voix de l’Est que ça passe. »
Et le quotidien de Granby n’a pas écrit son dernier mot.