FIERS CAMELOTS, SACOCHE EN BANDOULIÈRE
En presque neuf décennies, ils ont été des milliers à sillonner les rues de Granby et de la région. Au plus fort du rayonnement de notre quotidien papier, 400 jeunes camelots vous apportaient chaque matin les nouvelles à votre domicile, avant de se rendre à l’école. Cette véritable armée de distributeurs de La Voix
de l’Est est indissociable de l’histoire de notre média.
Au tournant de la fin des années 1980, La Voix de l’Est était omniprésente dans le paysage. « À Granby, à cette époque, on livrait le journal à une porte sur deux ou presque », se souvient Jean-Nil Laplante, qui fut directeur du tirage de La Voix de l’Est pendant 28 ans, de 1977 à 2005.
Plus de 16 000 copies étaient alors distribuées chaque jour, Granby comptant à cette époque environ 40 000 habitants.
« UNE BELLE ÉCOLE DE VIE »
Parmi ces valeureux jeunes travailleurs, nous en avons retrouvé quelques-uns qui ont laissé leur marque dans nos communautés, à différents titres.
Pascal Russell fut maire de Waterloo pendant trois mandats consécutifs (2005-2017). Il partait dès 6 h du matin parcourir les rues de la municipalité en compagnie de ses deux frères.
« Ça a été une belle école de vie pour moi et mes frères, assure-t-il, en entrevue à l’autre bout du fil. Ça nous a aussi donné beaucoup d’opportunités et ouvert des portes. »
Le jeune Pascal passait le journal pendant une heure, avant d’aller à l’école. « Comme on était tous très sportifs mes frères et moi, ça nous laissait du temps pour aller jouer au tennis ou au hockey la fin de semaine. »
CAMELOT DU MOIS
Cette expérience a été bénéfique pour l’ex-premier magistrat de Waterloo, ce dernier se remémorant avec joie cette période de sa vie. « Je ne regrette pas du tout, dit-il. C’était aussi une belle manière de se responsabiliser, d’apprendre à se présenter au public, et de connaître la valeur de l’argent. »
Camelot, il l’a été pendant six ans, de la 6e année à la 5e secondaire. La distribution, il la faisait au pas de course. Pas étonnant quand on sait que M. Russell a ensuite fait partie des Forces armées canadiennes pendant dix ans.
Dans les rues de Waterloo, les camelots de La Voix de l’Est ressemblaient à une bande de copains. « On se connaissait tous, c’était des gars avec qui on jouait à la balle ou au hockey. »
« Ça nous permettait de nous payer nos extras : un bâton de hockey, un morceau de linge de marque, mettre de l’essence dans ma moto », se souvient celui qui s’est retrouvé dans le journal comme « camelot du mois » en octobre 1979 (voir photo). Il avait alors gagné une enregistreuse à cassettes, se souvient-il.
« C’est dans ses moments que l’on réalise que le temps passe vite ! J’ai bien rigolé quand j’ai vu ma coupe de cheveux, mes jeans Lois et mon jacket Adidas. La mode a bien changé depuis ! », nous a-t-il écrit, heureux d’avoir réussi à mettre la main sur ce souvenir.
ARMÉE D’ENFANTS DANS LES RUES
Les camelots de La Voix de l’Est étaient presque tous des enfants, âgés de 11 à 17 ans. Ils sollicitaient également de nouveaux abonnés en faisant du porte-à-porte. Et ça fonctionnait. « On pouvait aller chercher jusqu’à 1500 nouveaux abonnés en l’espace de quelques semaines avec les camelots », se souvient François Guillemette, coordonnateur de la distribution sur le terrain depuis près de 30 ans. Les journaux papier avaient le vent en poupe.
Aujourd’hui, des adultes les ont remplacés, car les itinéraires de distribution se sont allongés et les camelots doivent se déplacer en voiture.
« On organisait des concours pour motiver les camelots, on réservait des salles de cinéma pour [ leur remettre leurs prix] », se souvient M. Laplante, qui a commencé à travailler au bureau de La Voix de l’Est de Saint-Hyacinthe. Au milieu des années 1970, on retrouvait d’ailleurs 120 camelots à Saint-Hyacinthe.
Si les camelots réussissaient à abonner de nouvelles personnes, ils découvraient un montant d’argent remis dans une enveloppe mystère, compris entre 5 $ et 20 $.
Certains d’entre eux ont même gagné un voyage en famille à Walt Disney, un cadeau offert pendant plusieurs années. « On amenait aussi nos dix meilleurs camelots de l’année voir les Nordiques pendant le Carnaval de Québec », se remémore M. Laplante.
« ÇA PEUT MENER LOIN »
Dans le quartier de la paroisse Saint-Joseph, les frères Rodrigue ont foulé le macadam dès l’âge de 8 et 9 ans. « On était bien fiers de passer ce journal-là », assure le Granbyen Luc Rodrigue.
« J’ai gardé beaucoup de souvenirs de cette époque, dit M. Rodrigue. Lorsqu’on avait des éditions spéciales avec plus d’exemplaires, mon père nous accompagnait Claude et moi, dès 5 h du matin. »
Les trois membres de la famille occupaient alors toute la largeur de la voie, le père dans l’auto, au milieu de la rue, et les deux frères distribuant chacun de son côté. « On était des gens qui se lèvent tôt, des sportifs qui n’avaient pas peur de travailler », raconte Luc Rodrigue. Les deux frères passaient le journal à vélo. Luc se rend encore à son travail à deux roues. « Hiver comme été ! », dit-il.
DU BEURRE DANS LES ÉPINARDS
Pour plusieurs jeunes issus de familles à faible revenu, travailler comme camelot donnait aussi un peu d’air financièrement.
Le comédien Luc Senay a ainsi été camelot, pendant un an. Enfant, il habitait également avec sa mère monoparentale rue Lasnier. « On avait des difficultés financières à la maison, c’était important que je travaille. Un de mes amis qui passait le journal avait arrêté sa run et m’avait proposé de le remplacer. »
Ce métier n’était pas toujours facile. Les jours de tempête, certains clients « avaient un peu pitié de nous. Ils m’offraient du chocolat chaud, et j’avais droit à un cadeau lors du temps des Fêtes », raconte pour sa part M. Russell, alors que lui aussi et ses frères vivaient avec leur mère monoparentale.
LE VERGLAS
Et des tempêtes, il y en a eu.
« Pour moi, il fallait passer le journal [en tout temps]. Il n’y avait pas une tempête qui pouvait t’empêcher de passer. souligne M. Laplante. La livraison, c’était sacré. »
La crise du verglas de l’hiver 1998
a été marquante pour l’équipe de La Voix de l’Est, en premier lieu pour l’équipe de la distribution du journal et ses camelots.
« Plusieurs camelots n’étaient plus chez eux, on avait perdu leur trace. Il fallait les retrouver ! », se souvient M. Laplante, qui avait fait stationner des motorisés dans le stationnement de La Voix de l’Est pour permettre à la salle de rédaction de profiter de leurs génératrices.
« C’était effrayant. Au niveau de la distribution, c’est la pire expérience qu’on ait vécue », disent MM. Guillemette et Laplante, en entrevue dans nos locaux.
Les sept camions de livraison de journaux avaient de la difficulté à se frayer un chemin sur les routes devenues impraticables à cause des arbres et des poteaux barrant la chaussée. Chacun d’eux parcourait en temps normal 200 km par jour et effectuait 550 arrêts, pour les 400 camelots et les 150 commerces sur le territoire.
QUE DE CHEMIN PARCOURU
« Écoute, ça peut mener loin de passer les journaux. » m’avait dit ma mère, raconte Luc Rodrigue. Elle disait que l’ancien premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, avait lui-même été camelot. »
Elle n’avait pas tort, semble-t-il, puisque les frères Luc et Claude Rodrigue sont devenus respectivement chirurgien orthopédiste et chirurgien dentiste, tous deux à Granby. Ils pratiquent d’ailleurs toujours, à 65 et 64 ans.
Résidant enfant sur la rue Dalton, l’ancien maire Pascal Russell rêvait d’habiter avenue du Pré-Sec, sur la presqu’île qui donne sur le lac Waterloo. Cette rue faisait partie du secteur qu’il parcourait camelot. « Je me disais : “Plus vieux, je vais demeurer ici. ” À 40 ans, j’ai été capable de faire l’acquisition d’une maison dans ce quartier. »
« C’était un peu exigeant, mais je ne regrette pas du tout d’avoir été camelot. Aujourd’hui on a tendance à vouloir gâter nos enfants. Je ne suis pas sûr que c’est la meilleure des choses. » Ses clients d’alors, il les croise encore aujourd’hui. Signe que les temps ont changé, mais que certaines choses demeurent.