UNE PIONNIÈRE À LA PRESTANCE INDÉNIABLE
Une femme devait avoir du cran pour se lancer en politique à la fin des années 1990. Du tact aussi pour réussir à faire sa place dans un monde où les hommes étaient omniprésents. Des atouts qui ont très bien servi l’ex- mairesse de Bromont, Pauline Quinlan. Un rôle en demi-teinte, ce n’était pas sa tasse de thé. Bien des journalistes de La Voix de l’Est l’ont constaté en suivant la carrière de cette femme de tête qui s’est échelonnée sur près de deux décennies.
Du plus loin qu’elle se souvienne, Pauline Quinlan a toujours été avide d’en apprendre plus sur tout ce qui l’entoure. Cette femme férue d’histoire, dont la famille est enracinée à Bromont (anciennement West Shefford) depuis belle lurette, connaît donc très bien la région. Une riche histoire qu’elle a notamment pu découvrir en lisant La Voix de l’Est. À 78 ans, elle s’intéresse toujours à l’actualité. Le moment où elle a commencé à en faire partie en 1998, en devenant la première femme à la tête de Bromont, une des rares mairesses au Québec à l’époque, a laissé une trace indélébile chez elle.
Elle se remémore en arborant un large sourire sa première entrevue avec le journaliste Richard Plante. « J’ai toujours conservé une copie de cet article. Ça avait été pour moi toute une initiation. Je n’avais pas fait de politique municipale avant et je me retrouvais élue à la mairie de la ville. Il y avait beaucoup de défis. Ce fut une belle entrée en matière », confie celle qui a aussi fait carrière en éducation durant 35 ans, notamment comme directrice d’école.
Elle comprend bien vite l’importance d’un quotidien... au quotidien. « Quand j’arrivais à la Ville et que je voulais m’informer sur des dossiers qui m’avaient précédé, on avait une personne au service du greffe et des archives qui avait découpé tous les articles. Tout était classé par année. Le journal est une référence et presque un livre d’histoire, dit-elle. Avoir un quotidien qui permettait d’avoir tous les points de vue, les bonnes données, ça a été très précieux pour moi tout au long de ma carrière. »
RIVALITÉ
La connivence des maires amène une dimension importante dans une région, fait valoir Pauline Quinlan. « Arthur Fauteux (ex-maire de Cowansville), Louis Choinière (ex- maire du défunt Canton de Granby), ce sont tous des personnages importants. C’était la vieille école politique. Mais on a réussi à faire évoluer notre région en mettant de côté nos besoins plus individuels. »
Elle a beau avoir du tact, Pauline Quinlan avait à l’occasion une vision divergente de celle des autres maires. Comme ses prédécesseurs d’ailleurs. « Quand Bromont est née (en 1964), dans la région, on ne croyait pas que ça aurait un grand succès. Il y avait de la controverse. Et aussi beaucoup de rivalité entre Granby et Bromont. M. [Horace] Boivin et la famille Désourdy de l’autre », met en relief celle dont le mandat a été reconduit sans interruption en 2002, 2005, 2009, puis en 2013.
L’antagonisme entre Granby et Bromont s’est poursuivi sous son règne et a fait couler beaucoup d’encre. Principalement lorsque Bromont a amorcé les démarches pour quitter la MRC de la Haute-Yamaska, pour rallier celle de Brome- Missisquoi. De son côté, Pauline Quinlan estimait que Granby avait un « poids trop important » dans la MRC en tant que ville-centre, ce que rejetait le maire à l’époque, Richard Goulet.
Malgré ses nombreuses prises de bec avec son homologue de la ville voisine, Pauline Quinlan n’a jamais vu ce bras de fer comme étant personnel. « J’aimais beaucoup Richard Goulet » , confie- telle. « C’était un homme intègre et passionné par sa ville », avait-elle dit à La Voix de l’Est lors du décès de Richard Goulet en juillet 2021. CHARISME Oratrice hors pair, Pauline Quinlan ne bafouillait jamais lors d’une allocution, peu importe son ampleur. Bien de son temps, la mairesse de la ville branchée (c’était le slogan au tournant des années 2000) se prêtait volontiers au tournage de reportages vidéo. Pas question de faire trois prises. L’affaire était dans le sac dès qu’elle se présentait une seule fois devant la lentille.
Les séances du conseil étaient également menées rondement sous sa gouverne. La charismatique mairesse ne se faisait
d’ailleurs pas prier pour remettre à leur place les quelques citoyens qui franchissaient la ligne en ne respectant pas le décorum lors des périodes de questions. Une main de fer dans un gant de velours est l’expression qui résume bien son attitude à ce chapitre.
MOMENTS FORTS
Pauline Quinlan a dû mener plusieurs combats. Ce fut le cas dès son entrée au pouvoir. Au tournant des années 2000, l’Assemblée nationale adoptait la Loi portant réforme de l’organisation territoriale municipale. Pour la nouvelle mairesse, conserver l’autonomie de Bromont était crucial. Il n’était pas question d’abdiquer. On connaît la suite. Après avoir affronté un vent de face, elle et les autres élus au conseil ont eu gain de cause. Un des « moments forts » de sa longue carrière, dit-elle.
Maintenir le service de police municipal de Bromont fut également un de ces dossiers charnières qui ont ponctué son parcours. Devenir la « ville branchée » tenait aussi beaucoup à coeur à Pauline Quinlan. « Avoir internet haute vitesse au moment où c’était peu commun fut une très belle réalisation », souligne-t-elle.
Le passage de Bromont de la MRC de la Haute-Yamaska vers la MRC
Brome-Missisquoi fait aussi partie de cette liste sélecte. « C’était un dossier qui a duré pendant plusieurs années et qui était plutôt controversé. Mais, ça nous apparaissait à Bromont comme un élément vital pour la ville. On n’agissait pas contre [ les autres municipalités voisines], mais bien pour Bromont. Et je crois qu’on a su démontrer au fil des ans qu’on est un très bon partenaire au niveau de la région. »
La création du centre de recherche en microélectronique, communément appelé le C2MI, est aussi un haut fait d’armes. « Ça a été un dossier politique, autant fédéral que provincial, qu’on a joué de belle façon, en équipe », résume Mme Quinlan.
DOSSIERS ÉPROUVANTS
En près de 20 ans en politique, Pauline Quinlan s’est tenue à bonne distance de la controverse. Certains dossiers ont toutefois été plus corsés. C’est le cas du Valdes- Irlandais, qui a finalement mené à la création du parc en montagne, nommé Parc des sommets. « On avait eu des années de discussions avec le propriétaire de Ski Bromont à l’époque, Charles Désourdy. Ça a été une période éprouvante. Il fallait protéger la Ville au niveau de certaines poursuites, mais surtout trouver une bonne solution pour maintenir l’harmonie. L’arrivée des nouveaux élus au conseil, entre autres Louis Villeneuve, a permis d’amener une vision différente. »
La perte des Jeux équestres mondiaux, qui devaient avoir lieu en 2018 à Bromont, fut un cuisant revers. Rappelons que la municipalité avait présenté les épreuves équestres des Jeux olympiques en 1976. « On y croyait, mais ça ne s’est pas réalisé, indique l’exmairesse. Le sport équestre avait amené des gens à Bromont avec les olympiques. Le volet cycliste et les grandes entreprises aussi. »
Pauline Quinlan concède que, bien que certains articles puissent parfois faire grincer des dents, l’objectivité journalistique est primordiale. « Ça ne fait pas toujours notre affaire, ce qui est publié dans les pages du journal, dit-elle. Mais, on doit l’accepter. »
HOULEUX MARIAGE
Dans le contexte actuel, Pauline Quinlan se lancerait-elle en politique ? « Je crois que oui. La politique nous permet de mettre au monde une vision, affirme-t-elle. Le défi maintenant est d’avoir une capacité de recevoir les messages. Ce qui est, de toute évidence, très difficile aujourd’hui. »
Elle se dit stupéfaite du nombre de politiciens qui tirent un trait sur la politique avant même d’avoir terminé leur mandat. « Je suis de la vieille école, dit-elle. Quand tu embarques dans quelque chose, tu vas jusqu’au bout. »
Or, la politique et les réseaux sociaux constituent souvent un houleux mariage, constate-t-elle. « Maintenant, les politiciens sont vraiment malmenés, entre autres sur les réseaux sociaux. Il y a tellement de gens qui écrivent des sottises. Une fois que c’est lancé, c’est difficile à défaire. »
Elle se dit néanmoins fière de voir de plus en plus de femmes en politique et d’avoir agi en tant que pionnière en la matière. « À Bromont, on a déjà eu un conseil municipal majoritairement féminin. Et il y a eu plusieurs femmes marquantes au Québec », dit-elle, citant en exemple l’ex- mairesse de Lac- Mégantic, Colette RoyLaroche, une femme qu’elle a connue dans les deux pans de sa vie professionnelle.
AVENIR DES MÉDIAS
Bien qu’elle se dise « attachée » aux éditions papier du journal, Pauline Quinlan voit le numérique d’un bon oeil . « Avec l’arrivée du numérique, on s’est aperçu que les médias locaux rapportaient davantage les dossiers plus près de nous. Alors, on a étendu nos horizons. Je pense qu’au niveau journalistique, vous vous êtes bonifiés. Ça vous permet aussi d’aller chercher plus facilement des informations qui permettent, dans certains cas, d’appuyer le discours. »
« Au Québec, on fait partie des chanceux qui peuvent compter sur un quotidien qui nous a bien servi et qui continue de le faire », ajoute-t-elle.
Comment voyez-vous l’avenir des médias ? « Quand je regarde comment s’informent mes enfants et mes petits- enfants, c’est un peu superficiel, affirme l’expoliticienne. Le plus important est surtout l’attachement aux médias locaux. C’est très important que ça demeure. Il faut prendre le temps de lire, de s’informer, de connaître les enjeux régionaux. Malheureusement, on vit dans une société où on n’a plus le temps. À nous, les gens qui ont ce vécu, d’en parler et d’attirer l’attention des jeunes sur l’importance de savoir ce qui se passe près d’eux. »