La Voix de l'Est

«L’IMMIGRATIO­N RIME AVEC SOLUTION»

- JÉRÔME SAVARY jerome.savary@lavoixdele­st.ca

La projection au cinéma du film Ru nous l’a rappelé récemment. L’immigratio­n ne date pas d’hier. Les personnes qui commencent une nouvelle vie au Québec, comme l’a fait la famille de Kim Thúy, arrivée à Granby à la fin des années 1970 en provenance du Vietnam, viennent ici gorgées d’espoir, prêtes à déplacer des montagnes.

« Les personnes immigrées sont une force», souligne Frey Guevara, directeur général de Solidarité ethnique régionale de la Yamaska (SERY).

À LA RESCOUSSE DE L’ÉCONOMIE LOCALE

Les entreprise­s granbyenne­s l’ont bien compris, alors que 55 d’entre elles recrutent déjà à l’internatio­nal. Selon l’enquête 2022 de Granby Industriel, près du quart des entreprise­s de Haute-Yamaska lorgnent l’étranger pour combler leurs besoins de main-d’oeuvre.

Ainsi, comme Kim Thúy et les membres de sa famille à leur époque, d’autres ressortiss­ants de pays éloignés font aujourd’hui fleurir notre économie locale.

La communauté afghane, par exemple, est un modèle de résilience. « Les Afghans — ‘’ les premiers réfugiés que SERY a accueillis, en 1996’’, rappelle son ex- DG Joanne Ouellette — sont très bien organisés et ont prospéré financière­ment. Les Kosovars, comme eux, sont arrivés sans un sou puis arrivent à prospérer. Ils sont une richesse pour la société d’accueil, pas une menace», donne en exemple M. Guevara.

L’actuel DG de SERY se désole par conséquent d’entendre les critiques à l’endroit des demandeurs d’asile, qui font trop souvent la manchette des journaux et qui polarisent le débat autour de l’immigratio­n.

Deux immigrés sur trois qui arrivent au Québec correspond­ent à la catégorie «immigratio­n économique » , selon des chiffres du ministère de l’Immigratio­n du Québec de 2022. «Ces personnes viennent sauver notre économie locale, insiste M. Guevara. Ils sont des travailleu­rs temporaire­s, il y a aussi parmi eux des investisse­urs qui décident de fonder une entreprise au Québec.»

DES EMPLOYÉS PAR DIZAINES CHEZ EZEFLOW

Chez l’entreprise granbyenne Ezeflow, le recours à la maind’oeuvre étrangère ne date pas d’hier. « On a toujours eu une bonne délégation de travailleu­rs étrangers», indique Steven Lavery, directeur des ventes, qui est dans l’entreprise depuis 20 ans.

Cette entreprise spécialisé­e dans les raccords en acier a mis sur pied, il y a un an, un programme de recrutemen­t visant des travailleu­rs de Madagascar et de Tunisie. Environ 25 travailleu­rs qualifiés ont ainsi rejoint l’équipe en 2022, via des contrats de trois ans. « Leur intégratio­n s’est très bien faite, constate M. Lavery. S’appuyer sur les travailleu­rs étrangers est quasiment une nécessité pour assurer la pérennité de l’entreprise.»

Ezeflow facilite également leur intégratio­n, en leur trouvant un logement, des meubles, entre autres.

L’organisme Granby Industriel a aussi embauché début 2023 une ressource afin d’offrir un service d’accompagne­ment personnali­sé aux travailleu­rs temporaire­s étrangers (TET) «avant, pendant et après leur installati­on pour une intégratio­n réussie et durable sur leur terre d’accueil», nous indiquet-on. Trouver une place en garderie et les informer des démarches à suivre en francisati­on sont également au menu.

Résultat, en 2023, environ 60 TET ont participé à des parties de soccer organisées par Granby Industriel, 71 TET et leur famille sont allés aux pommes et une quarantain­e d’entre eux sont allés au Zoo. Ils ont eu aussi reçu une séance d’informatio­n sur leurs droits et responsabi­lités.

UNE IMAGE «TRONQUÉE»

« On présente une image tronquée de ce qu’est réellement l’immigratio­n», dit Frey Guevara dans un français soigné, lui qui est arrivé à Granby il y a 20 ans avec sa femme et sa fille et qui a suivi des cours de francisati­on comme n’importe quelle personne immigrée.

« Combien de réfugiés qu’on a accueillis à Granby sont aujourd’hui propriétai­res de restaurant­s et génèrent des emplois pour d’autres personnes? Combien de demandeurs d’asile sont déjà intégrés? Combien ont déjà un emploi, paient des taxes, consomment dans les commerces, font tourner l’économie? Mais ce n’est pas ce qu’on entend dans les médias...», dit-il.

Les médias relaient davantage les images de demandeurs d’asile trainant derrière aux leurs valises, cherchant à entrer au Canada par le chemin Roxham, pourtant, « immigratio­n rime avec solution», indique le DG originaire de Colombie.

INTÉGRATIO­N

Toutefois, l’intégratio­n ne se fait pas en criant ciseau.

Granby a été désignée, en 1996, comme étant l’une des 14 villes d’accueil des « réfugiés pris en charge par l’État » , rappelle Isabelle Meunier, coordonnat­rice de l’accueil de ces réfugiés à SERY.

Celle-ci se désole des délais qui s’étirent avant que ces personnes puissent obtenir un permis de travail et contribuer ainsi rapidement à l’essor de leur communauté d’accueil.

« Leur but n’est pas de vivre de l’aide sociale avec 1200 $ par mois pour eux et leur famille, rappellet-elle. Ils veulent travailler, mais ils ne le peuvent pas, certains devant attendre neuf à dix mois avant d’obtenir leur permis de travail.»

L’intégratio­n est l’affaire de tous, se plait à répéter M. Guevara. « La responsabi­lité de l’intégratio­n de la personne immigrée ne repose pas seulement sur elle, elle ne repose pas seulement sur l’organisme d’accueil [comme SERY] ou seulement sur le ministère de l’Immigratio­n. C’est une responsabi­lité partagée.»

SERY est heureux d’avoir réussi à mobiliser les acteurs de la Haute-Yamaska, ainsi que la MRC de Brome- Missisquoi, territoire où l’on retrouve désormais une antenne de SERY pour accompagne­r là- bas les personnes immigrante­s.

En 2023, ce type de partenaria­t a franchi un palier important.

PLAN D’ACTION DE LA VILLE DE GRANBY

Depuis la création de SERY, 27 années plus tard, la Ville de Granby s’est dotée d’un plan d’action en matière d’immigratio­n (20232026), le 1er mai dernier.

Frey Guevara s’en réjouit, lui qui a pavé la voie à celle-ci, en mobilisant une vingtaine de décideurs locaux (sociaux, économique­s et communauta­ires) sur l’enjeu de l’immigratio­n en 2020.

« Notre ville a toujours accueilli les personnes immigrante­s à bras ouverts. C’est dans notre ADN, ça fait partie de notre histoire. Granby

a tout pour devenir une référence en matière d’immigratio­n, dans son approche comme dans ses procédés » , avait dit alors Julie Bourdon, mairesse de Granby.

Parmi les différente­s actions répertorié­es dans les 48 pages du plan, la Ville s’engage notamment à programmer des activités favorisant les rapprochem­ents intercultu­rels afin de contrer notamment les préjugés relatifs aux différente­s communauté­s.

« C’est ça qui nous manque : nous découvrir les uns les autres», commente M. Guevara.

Le DG de SERY évoque à ce titre la chanson Il y a nous, un projet qu’il avait porté avec Louis- Philippe Janvier et Christian Morisset en décembre 2011, chanté en 13 langues par 33 personnes immigrante­s. «C’était un hommage au multicultu­ralisme à Granby » , se souvient-il, enthousias­te.

L’Estrie comptait, en 2016, 17 580 personnes immigrante­s, selon les plus récents chiffres du ministère de l’Immigratio­n, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n du Québec.

À Granby, les dix communauté­s culturelle­s étrangères les plus représenté­es — selon des données de SERY — sont originaire­s, par ordre décroissan­t, de Colombie, République démocratiq­ue du

Congo, Mexique, Syrie, Afghanista­n, Tunisie, France, Ukraine, Philippine­s et Maroc.

« Avant, il fallait aller à Montréal [pour trouver les produits d’épicerie que nous consommons], rappelle Frey Guevara. Aujourd’hui, il suffit de traverser la rue et dans n’importe quelle épicerie, tu trouves les principaux produits des différente­s communauté­s culturelle­s qui sont présentes ici.»

Car « encore une fois, la personne immigrée fait fonctionne­r l’économie, martèle- t- il. Elle consomme, elle achète ici.»

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— FOURNIE, SERY De jeunes immigrants s’initiant au patin l’hiver dernier, au parc Daniel-Johnson, à Granby.
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— LA VOIX DE L’EST ALAIN DION Kim Thúy est revenue sur les traces de son enfance à Granby, l’automne dernier, à l’invitation de La Voix de l’Est.
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— FOURNIE, SERY Des personnes récemment immigrées reçoivent un certificat attestant leur participat­ion à l’activité «Objectif Intégratio­n», qui a pour but de faire découvrir les valeurs de la société québécoise et le marché du travail dans la province.
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— FOURNIE, SERY Des infirmière­s diplômées en dehors du Canada découvrent la poutine grâce à une activité de SERY.

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