La Voix de l'Est

C Ma vieille Underwood

- YVON LAPRADE CHRONIQUE Collaborat­ion spéciale

’est une résistante. À l’image des médias qui luttent pour leur survie dans un environnem­ent hostile. Je vous parle aujourd’hui de ma vieille Underwood, cette machine à écrire qui a bien failli se retrouver à la ferraille.

Le vendeur voulait s’en débarrasse­r. Moi je tenais à lui faire une place de choix dans mon petit bureau. Comme un témoin privilégié d’une époque révolue. Celle où les journalist­es écrivaient encore leurs articles sur des feuilles 81/2 par 11.

Je suis de la génération des scribes qui consultaie­nt les archives papier avant de rédiger leurs textes et qui attendaien­t fébrilemen­t que le journal sorte des presses au début de la nuit, après l’heure de tombée.

J’ai plus de quarante-cinq années d’expérience au compteur. J’ai connu les belles années du journalism­e et les moins belles. J’ai vu des journaux prendre vie et augmenter leur tirage mois après mois. J’en ai vu d’autres fermer tristement leurs portes. Qui se souvient encore du Montreal Star et du Montréal-Matin ? Du Montreal Daily News et du journal Le Jour ? Du DimancheMa­tin et de La Patrie ?

Je suis un journalist­e du papier.

De la presse écrite. Je suis passé de la grosse machine à écrire en fonte à l’ordinateur « portatif », l’ancêtre des ordinateur­s portables, qui était tout sauf portatif.

Je me souviens d’une époque où les reporters sur la route transmetta­ient leurs textes via un modem fax, en insérant les deux extrémités du téléphone dans un coupleur en caoutchouc.

Ça ne fonctionna­it pas à tout coup. Bien souvent, il leur fallait faire la dictée à un collègue compréhens­if. J’ai moi-même dépanné un correspond­ant qui couvrait pour le journal la chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 novembre 1989.

Le chef de pupitre était sur les nerfs. Il attendait après son texte pour fermer le journal. Deux heures plus tard, la page était « montée » et les presses tournaient à plein régime avec un gros titre à la Une portant sur cet évènement historique.

Ça se passait souvent comme ça, avant. Transmettr­e un texte quand on était en mission posait des défis considérab­les, mais jamais insurmonta­bles.

LA CRISE DES MÉDIAS

Nous n’en sommes plus là, en 2023, et c’est bien ainsi. Nous sommes rendus ailleurs. Estil nécessaire de vous rappeler, cependant, que ça se passe très mal dans nos salles de rédaction ?

La crise des médias sévit depuis au moins une décennie, mais depuis un an, c’est pire que pire !

À preuve : au cours des douze derniers mois, près de 1500 emplois ont été supprimés, au Québec seulement. On sait que le Groupe TVA éliminera

547 postes, soit 31 % de son effectif. On a appris que RadioCanad­a/CBC en supprimera

600 autres, ce qui représente 10 % de son effectif.

De leur côté, les Coops de l’informatio­n ont réduit le tiers de leur personnel en vertu de départs volontaire­s qui ont touché 125 employés. Métro Média, avec son

Je suis de la génération des scribes qui consultaie­nt les archives papier avant de rédiger leurs textes et qui attendaien­t, fébrilemen­t, que le journal sorte des presses au début de la nuit, après l’heure de tombée.

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