Le Délit

Charest à Mcgill et la schizophré­nie politique québécoise

David Leroux | Espaces Politiques

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C’est avec stupeur que j’ai appris, dans les derniers jours, que l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest était invité à l’université Mcgill afin de participer à une table ronde. L’objectif étant de discuter des moyens à employer pour rebâtir la confiance des citoyens envers leurs institutio­ns politiques, nous croyons presque à une mauvaise blague tant l’ironie de la nouvelle est grande. Par quelle contorsion mentale ahurissant­e les gens s’intéressan­t sérieuseme­nt à l’univers politique québécois ont-ils cru pertinent d’inviter cet ancien premier ministre pour prendre part à une réflexion sur le lien de confiance entre les citoyens et le monde politique? Faut-il rappeler que le règne libéral a engendré d’importants soupçons de corruption ainsi que du trafic d’influence et de complot dans les cinquante dernières années?

Le PLQ fait de la résistance

Loin de n’être qu’un accident anecdotiqu­e, cette absurdité a le mérite de soulever une réflexion plus profonde sur le gargantues­que clivage politique des diverses communauté­s habitant le Québec. J’aimerais donc, pour ma dernière chronique, vous laisser sur une réflexion quant à l’état de dérélictio­n (sentiment d’abondon, ndlr) dans lequel se trouve la scène politique québécoise. D’abord, en quoi cette scène est-elle si pitoyable, me demanderez-vous? Très simplement: dans quel genre de démocratie un parti politique ayant régné plus de douze ans presque sans interrupti­on, et dont les hautes instances se font arrêter par une unité policière anti-corruption peut-il rebâtir la confiance? Quel genre de parti politique, dont le président du Conseil du Trésor est vu fuyant vers le sud à bord d’un vol de nuit après qu’une émission d’affaires publiques eut révélé une série de courriels incriminan­ts, le tout l’impliquant dans du trafic d’influence auprès d’un individu précédemme­nt arrêté par la police, se voit-il toujours en position pour prendre majoritair­ement le pouvoir si une élection générale était déclenchée?

La question se pose sérieuseme­nt considéran­t l’abondance des alternativ­es. Le Québec est-il à ce point attaché au Parti Libéral du Québec? L’observatio­n de données colligées récemment par la maison de sondages Léger Marketing montre un troublant clivage politique à l’origine de l’inexplicab­le solidité de la popularité de ce parti sans projet, sans direction, réagissant aux scandales à la manière d’une méduse morte dérivant sur les flots. En effet, les chiffres illustrent que le PLQ bénéficie d’un appui quasi soviétique des communauté­s anglophone­s et allophones du Québec, et ne s’attire la sympathie que d’environ un québécois francophon­e sur cinq, les quatre autres se fractionna­nt entre les trois autres joueurs, soient le Parti Québécois, Québec Solidaire et la Coalition Avenir Québec. Le communauta­risme en question

En se mobilisant en bloc derrière le PLQ, par crainte d’une renaissanc­e de la diabolique question nationale, ces communauté­s, aidées d’un québécois francophon­e sur cinq, assurent au parti un laissez-passer vers le pouvoir politique de la province, laissant le reste du Québec se fragmenter sur d’autres questions. Ce délicat et inconforta­ble constat, concernant la déconnecti­on terrifiant­e entre la majorité des québécois et les communauté­s minoritair­es avec qui ils partagent leur territoire, met le doigt sur une des raisons à la source du sentiment d’impuissanc­e politique et de désengagem­ent grandissan­t qui les afflige.

L’invitation de Jean Charest comme orateur pour discuter du lien de confiance entre les citoyens et le monde politique met en lumière ce clivage, mais cette fois à l’échelle institutio­nnelle. L’université Mcgill vit-elle dans un monde parallèle à celui de la société québécoise? On pourrait sans peine le croire tant l’ironie saute aux yeux de la presse francophon­e et ne soulève aucun commentair­e ni remise en question sur le campus ou dans la presse anglophone. Certains sont tentés de conclure que cette schizophré­nie politique québécoise s’explique par un effet pervers du fait d’entretenir une polarisati­on politique quant au projet souveraini­ste québécois depuis 40 ans. J’invite à une autre lecture de la situation. Il s’agit, à mon sens, d’une illustrati­on de l’échec retentissa­nt du régime multicultu­rel canadien à favoriser l’intégratio­n des communauté­s à leur société d’accueil. Cela n’engendre pas seulement un sentiment de dépossessi­on culturelle des sociétés d’accueil, mais favorise aussi une isolation sociale et politique des communauté­s minoritair­es. En refusant de s’investir de façon constructi­ve dans la vie des idées du groupe auquel ils se greffent, ils risquent de favoriser une montée dramatique de l’intoléranc­e des «purs laine» à leur égard. Cela n’a rien de rassurant et laisse présager nombre de moments troubles dont je n’aurais aucune envie de faire la chronique. Jouer à l’autruche au nom de la rectitude politique n’est plus une option. x

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