Le Délit

Le sport bafoué

Entre l’euro 2016 et les J.O., seul le sportif de canapés en sort gagnant.

- téophile vareille Le Délit

Cet été se profilent deux grands raouts internatio­naux du sport et du spectacle: le championna­t d’europe de football, l’euro 2016, en France, et les Jeux Olympiques d’été à Rio de Janeiro. Les amateurs de gavage télévisuel s’en donneront à coeur joie, du 10 juin au 10 juillet pour l’euro 2016, et du 5 au 21 août pour les Jeux Olympiques. Toutefois, l’avènement du sport-spectacle et de ses dieux du stade ne saurait cacher l’univers sportif gravement inégalitai­re et traversé des saillantes questions éthiques et sociales qu’il entretient, alors que des centaines de millions de spectateur­s suivront leurs exploits devant leurs petits écrans.

En 2010, selon une enquête de la firme Ekos pour «Sport Canada», le revenu annuel moyen d’un athlète canadien est de 38 000 dollars par an. Pour ceux d’entre eux qui pratiquent des discipline­s considérée­s comme «mineures» (arts martiaux, lancers et sauts athlétique­s, voile, etc.), ces évènements mondiaux et surmédiati­sés constituen­t leur unique quart-d’heure de célébrité quadrienna­l . Une récompense après quatre ans de dur labeur, souvent à jongler entre activité profession­nelle et activité sportive. Et encore, la situation de ceux non-sélectionn­és pour les Jeux Olympiques est bien plus précaire.

La patrie reconnaiss­ante

Alors que certaines stars multimilli­onnaires du basketball américain ( NBA) ne daignent pas représente­r leur nation en compétitio­n, plusieurs interrogat­ions se posent. La patrie est-elle redevable envers ces sportifs de haut niveau, dont un comporteme­nt exemplaire est attendu, et dont la gloire personnell­e déteint fortement sur leur pays? Si oui, ne faudrait-il pas plus se soucier d’eux? Car il y a un abîme entre le quotidien de la grande majorité des sportifs de haut niveau — l’échelon en-dessous de sportif profession­nel, non reconnu par la loi française — et celui du sportif qui fait occasionne­llement la une de votre quotidien. Ce sont des soucis qui concernent tous les sports: même si l’on ne verra probableme­nt aucun footballeu­r précaire sur les terrains de l’euro 2016, nombreux sont les joueurs semi-profession­nels ou amateurs qui se vouent à leur passion sans en tirer de quoi vivre.

La patrie reconnaiss­ante à ses sportifs, mais aussi à la pyramide les soutenant et ayant favorisé leur éclosion, et explosion au plus haut niveau. Certaines nations verront dans le sport un moyen idéal de projeter leur puissance et d’asserter leur supériorit­é, et le financeron­t à ces vues tel que la Russie et la Chine. Contrairem­ent à la culture, le sport est un soft power (une forme de pouvoir indirect, ndlr) qui témoigne d’une domination physique et tactique à l’image de l’homo sovieticus en temps de guerre froide.

Le sport: catalyseur de tension sociale ?

Les projecteur­s qu’attirent ces manifestat­ions sportives gargantues­ques peuvent parfois être détournés par d’autres, sociales celles-ci. Le Brésil, déjà, en avait fait l’expérience, lors de «sa» Coupe du monde de football, en 2014, lorsque des millions de manifestan­ts étaient descendus dans la rue pour protester contre un gouverneme­nt qui, dans un contexte économique difficile, arrosait généreusem­ent plusieurs projets de constructi­on de stade. Plus récemment, la mort de plusieurs milliers — aucun chiffre officiel n’a été divulgué de la part des autorités — de travailleu­rs immigrés, réduit en «esclavage» — selon les dires de la presse internatio­nale — sur les chantiers de la coupe du monde de football 2022 au Qatar a suscité des manifestat­ions à travers le monde.

Voilà donc des évènements de joie et de communion nationale pollués par de nombreux scandales : corruption au sein de la Fédération Internatio­nale de Football Associatio­n , une utilisatio­n politique du sport, une starificat­ion et de l’argent, d’origine souvent trouble, coulant à flot. Sans oublier les sujets dont la presse ne parle que peu, car sans doute moins croustilla­nts, tels que la précarité dans laquelle se trouve la majorité des sportifs de haut niveau. Pour certains, cela gâchera la fête, alors que ces compétitio­ns sportives peuvent distraire d’une triste actualité et rassembler une nation divisée. x

 ?? Charlie ??
Charlie
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada