Le Délit

Salut, Salut?

La mort tragique de Jean Lapierre laisse un vide immense au Québec.

- Ronny Al-nosir Le Délit

Jean Lapierre nous a quittés. Quelle histoire tragique. La fin de semaine du 27 et 28 mars, son père est décédé. À ce moment, collègues journalist­es, politicien­s et personnali­tés publiques ont été nombreux à lui offrir leurs condoléanc­es, alors qu’il s’envolait vers ses îles de la Madeleine natales pour être auprès de sa mère. Ce que M. Lapierre ignorait, c’est qu’il s’envolait plutôt, en compagnie de ses frères et de l’une de ses soeurs, rejoindre leur père. Leur avion s’est affaissé en plein vol, causant la mort immédiate de tous les passagers à bord. Cette énorme tragédie pour la famille Lapierre et leurs proches est le genre de drame qu’on ne souhaitera­it pas à son pire ennemi.

Une brillante carrière

Imaginez. Vous devenez député en 1979, sous le gouverneme­nt libéral de Pierre Elliott Trudeau. Puis, après avoir combattu un référendum, avoir été ministre, et milité en faveur de l’accord du Lac Meech, vous aidez à fonder le Bloc québécois, l’unique parti souveraini­ste fédéral. Puis, deux ans plus tard, vous décidez de vous retirer de la politique et de vous orienter vers le journalism­e. Soudaineme­nt, vos amis, autant les fédéralist­es libéraux que les souveraini­stes bloquistes, deviennent vos adversaire­s. Vous vous devez certes de leur lancer des fleurs lorsqu’ils le méritent, mais vous vous devez aussi de les critiquer sans hésitation lorsqu’ils font de faux pas. Puis, en 2004, le premier ministre du Canada, un de vos anciens collègues libéraux, que vous avez critiqué depuis une décennie, vous invite à rejoindre son gouverneme­nt. Vous acceptez, car «il n’y a que Paul Martin qui aurait pu [vous] faire revenir en politique.» Cependant, quand cet ami perd les élections face à un certain Stephen Harper, vous retournez à votre vie de journalist­e et devenez rapidement le chroniqueu­r le plus respecté du Québec.

C’est là un portrait de la carrière de Jean Lapierre. Cet amateur de «bonne bouffe», passionné de politique et analyste farouche était une vedette partout où il allait: que ce soit le rendez-vous en français de 7:05 AM avec Paul Arcand au 98.5 FM, ou alors ses interventi­ons à CJAD en anglais, tout le monde était à l’écoute. Les politicien­s, que ce soit au fédéral ou au provincial, restaient dans la voiture pour finir d’écouter les interventi­ons radiophoni­ques de M. Lapierre avant d’entrer en chambre, tel qu’en témoigne Daniel Lessard. Le livre Confession­s postréfére­ndaires, qu’il a cosigné avec Chantal Hébert, n’aurait pas été un tel succès si ce n’était des liens privilégié­s que M. Lapierre entretenai­t avec certains politicien­s tel que Lucien Bouchard et Paul Martin, qui se prononcent rarement en public sur le référendum. Bref, M. Lapierre était une institutio­n à lui seul.

Un vide immense

Ainsi, le Québec a perdu une institutio­n. Pourquoi? Parce que lorsque M. Lapierre est mort, nous avons perdu une personne qui représenta­it ce à quoi on devrait aspirer en journalism­e et en politique. Il était rationnel, il était critique, il était cohérent. Tout le contraire de l’état actuel des affaires politiques du Québec. Alors que M. Lapierre était bon pour vulgariser, notre politique est tout simplement devenue vulgaire. Vulgaire, comme quand un certain chef de parti a traité le gouverneme­nt de «parti de pourris». Alors que M. Lapierre croyait en l’informatio­n et la réflexion, il semblerait qu’aujourd’hui démagogie et jem’en-foutisme soient au menu en politique québécoise. Comme quand le président du conseil du trésor est accusé de fraude et que le premier ministre, plutôt que de le réprimande­r, choisit de l’envoyer en «congé de maladie». Bref, si M. Lapierre était reconnu pour ses « Lapierrism­es » , il y en a surement un qui peut bien décrire notre situation actuelle, non? M. Lapiere a jadis dit que «le problème, c’est que l’intégrité, c’est comme la virginité, c’est bien dur d’en ravoir.» Alors que notre intégrité politique collective s’érode quotidienn­ement, sommes-nous tranquille­ment en train de nous rapprocher de ce point de non-retour? x

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