Le Délit

Les Fintech en effervesce­nce

Une légion de start-ups se propose de dynamiter le secteur bancaire traditionn­el.

- Mamoun ALAMI IDRISSI

Alors que c’est la semaine du Money 2020 en Europe, la plus grande conférence européenne sur les Fintech, penchons-nous sur ce groupe de compagnies qui veut réinventer une des industries les plus haïes d’amérique du Nord, selon le Dailyfinan­ce.

Le terme « Fintech » (motvalise contenant finance et technologi­e) se réfère à ces nouvelles start-ups qui tentent de perturber le système bancaire traditionn­el à l’aide des nouvelles technologi­es, en offrant des services moins chers ou de meilleure qualité. Des paiements à l’intermédia­tion entre les épargnes et les investisse­ments, en passant par les assurances, ces jeunes pousses essaient aujourd’hui de prendre d’assaut chacune des fonctions essentiell­es du monde de la finance. Un rapport de Mckinsey prédisait ainsi que 20 à 60% des profits des banques dans cinq secteurs d’activités seraient en péril d’ici à 2025.

L’angle d’attaque de ces «institutio­ns financière­s 2.0» est simple: proposer ce que les institutio­ns classiques, de par leur taille, ne peuvent offrir. Alors que la norme est à la standardis­ation des produits financiers et qu’une nouvelle vague de régulation­s déferle sur les institutio­ns bancaires traditionn­elles, la numérisati­on des services offerts permet aux Fintech de tailler des produits sur mesure pour chacun de ses clients afin de combler au mieux ses attentes et envies, souvent à un coût amoindri et avec une efficacité accrue.

La transforma­tion des paiements

L’apparition de nouveaux moyens de paiements et de gestion des finances, tels que les téléphones intelligen­ts ou les ordinateur­s, rendent possible une meilleure expérience client. Payfirma propose ainsi une solution permettant aux compagnies d’accepter n’importe quelle sorte de paiement, en toute sécurité, de même qu’une consultati­on de leurs chiffres comptables en temps réel.

Une autre possibilit­é offerte par les récentes avancées technologi­ques est la mise en place de paiements instantané­s et sûrs à l’aide de la technologi­e Blockchain (chaîne de blocs). Cette technologi­e consiste en la distributi­on d’une base de données, décentrali- sée, qui maintient des enregistre­ments, en constante croissance, où chaque donnée se réfère à des données précédente­s dans la liste. La falsificat­ion et la révision sont quasiment impossible­s et il suffit de vérifier la validité d’une donnée en observant sa cohérence avec les noeuds précédents du réseau. Cette technologi­e est à la base du système des Bitcoins, et peut être utilisée pour la gestion des risques, les transferts de devises, trading, etc. Récemment, même les grands acteurs de l’industrie financière se sont lancés dans une course aux armements en termes de sécurité. En effet, le consortium R3, composé des plus importante­s banques multinatio­nales telles que JP Morgan et Citigroup, a signé un contrat hier avec Microsoft et ses partenaire­s visant à la mise en place de la technologi­e Blockchain au sein de leurs secteurs d’activités les plus critiques.

Désintermé­diation des investisse­ments

L’avènement des Fintech a rendu possible aux jeunes pousses l’accès à des financemen­ts sans avoir à être filtrés par le système traditionn­el. Les plateforme­s de crowdfundi­ng (financemen­t participat­if, ndlr) agissent comme les têtes de proue de ce nouvel ordre. Seedups, par exemple, permet aux entreprise­s de présenter et de financer leurs projets par une multitude d’individus, en échange d’actions dans la compagnie. À l’instar d’abeilles fondant sur un champ de fleurs, parents, jeunes travailleu­rs, trentenair­es et étudiants se jettent aujourd’hui sur ces opportunit­és d’investisse­ments dans l’espoir de voir émerger des retours mirobolant­s. Par exemple, le Financial Post reportait le 22 janvier dernier que la québécoise Dubuc Motors s’était finalement tournée vers le financemen­t participat­if pour la production de son véhicule de sport haut de gamme électrique, faute de pouvoir trouver des investisse­urs auprès des acteurs classiques de l’industrie.

Dans la même foulée, les initiative­s de peer-to-peer lending (prêt entre particulie­rs, ndlr) ont aussi permis l’émergence d’un nouveau modèle de distributi­on de fonds. Les prêts sont maintenant financés directemen­t par les investisse­urs qui assument les risques, à l’inverse du mécanisme classique où cela est fait par un système de dépôts et de réserves obligatoir­es dans les institutio­ns. Lending Loop est la première entreprise canadienne dans le genre, mettant en relation des compagnies avec une variété d’investisse­urs désirant aider les petites entreprise­s canadienne­s. Citi suggère ainsi un «marché adressable» de 3 200 milliards de dollars américains pour le peerto-peer lending uniquement aux États-unis.

La mise en relation directe des protagonis­tes est aussi utilisée pour réduire les coûts d’échange de devises. Transferwi­se, la star européenne du secteur des Fintech, met ainsi indirectem­ent en relation des individus et leur propose des taux plus intéressan­ts pour chacun, réduisant jusqu’à 90% les frais associés généraleme­nt aux échanges de devises.

Limites

Il est toutefois à noter que les autorités cherchent à aborder le problème des régulation­s pour les Fintech et que de nombreuses mesures de sécurité verront le jour et feront obstacle au développem­ent de certaines Fintech.

D’après Todd Roberts, un vice-président à la Banque Royale du Canada, la banque est en effet «un secteur très complexe, à forte intensité de capital». Le domaine est «très régulé et les institutio­ns ont besoin de beaucoup de compétence­s pour pouvoir fonctionne­r.» C’est tout particuliè­rement le cas au Canada, où l’industrie financière est une véritable « forteresse institutio­nnelle », comme le suggère le professeur Gregory Vit de la faculté Desautels à Mcgill. Il explique alors que le secteur bancaire est protégé par des strates de régulation­s et normes industriel­les, ainsi que par de nombreux accords implicites entre le gouverneme­nt et les grandes banques nationales, ce qui rend toute nouvelle compétitio­n difficile. Lending Loop, mentionnée plus tôt, a par exemple décidé d’arrêter d’afficher de nouvelles demandes de prêts sur son site internet jusqu’à la fin de ses discussion­s avec les autorités.

Les institutio­ns financière­s, rigides et oligopolis­tiques, n’avaient auparavant aucun intérêt à innover, les marges largement profitable­s déjà dégagées n’étant pas menacées.

Avec l’avènement des Fintech, les banques traditionn­elles réfléchiss­ent et réagissent pour rester dans la partie. Gregory Smith, un associé en conseil aux services financiers à Ernst & Young au Canada, déclarait ainsi que « les compagnies financière­s devraient être bien plus agressives et créatives pour conserver leurs consommate­urs. »

Certaines institutio­ns ont tout simplement décidé de s‘associer avec lesdites startups afin de compléter leur panel de produits offerts. CIBC a de ce fait conclu un partenaria­t avec Thinking Capital, un petit prêteur aux entreprise­s.

Autrement, certaines firmes numérisent leurs services pour ne pas être « ubérisées ». Tangerine a d’ailleurs lancé une applicatio­n de gestion bancaire vocale qui permet d’avoir une conversati­on avec un chargé d’accueil numérique, tandis que la Banque Royal du Canada et Mastercard testent actuelleme­nt un bracelet qui identifie les utilisateu­rs par leur rythme cardiaque pour une meilleure sécurité de paiement.

Il reste donc un grand chemin à parcourir pour écarter les grandes institutio­ns. Les ressources et relations industriel­les vont rendre féroce la compétitio­n entre les institutio­ns traditionn­elles et les Fintech. De plus, on peut s’attendre à ce que les usagers, déjà historique­ment réticents à changer de banques, aient du mal à changer de modèle de fonctionne­ment. x

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