Le Délit

Mon cousin

- Cédric Demers

Le café, bien trop chaud, m’a brûlé les lèvres, je l’ai donc déposé sur le coin de la petite table en verre, soufflant à distance, la fumée qui se dissipait. Je n’avais pas l’habitude d’un café en début de journée, encore moins dans une ville comme Paris, mais j’ai fait exception et pour me donner un air de connaisseu­r, j’avais même demandé à la serveuse de m’apporter le lait et le sucre à part, insistant sur le fait que je préférais moi-même doser l’intensité de mon réveil. Tout ça n’était que des prétextes, je détestais le café, je n’en prenais que pour combattre le décalage horaire.

Je m’étais installé sur la terrasse d’un bistro, près de la Seine, à l’abri des congestion­s de la ville, sachant pertinemme­nt que le manque de sommeil bercé par la musicalité des klaxons m’aurait fait perdre la tête. J’ai jugé quelques travailleu­rs qui passaient sous le soleil qui peinait à sortir des draps, et j’ai ensuite cherché à écouter le chant des oiseaux. Sans succès.

C’était la première fois que je rendais visite à mon cousin, lui qui était habituelle­ment toujours débordé par les heures supplément­aires, stressé à temps plein, incapable de dormir plus de cinq heures dans son magnifique appartemen­t du 15e, quartier qu’il qualifiait, lui-même d’ailleurs hautain et prétentieu­x. Il se défendait malgré tout en disant que l’appartemen­t avait été l’aboutissem­ent d’un concours de circonstan­ces plus que d’une propre décision personnell­e. Son arrière grand-mère l’avait acheté durant l’entre-deux-guerres, et il en avait hérité à son décès au même titre qu’une panoplie de souvenirs qu’il n’avait pas vraiment souhaité, mais qu’il n’avait su se départir.

Mon cousin m’avait fortement suggéré de devancer mon voyage que j’avais initialeme­nt planifié pour la mi-juin. Il m’avait dit que ça allait m’éviter les foules estivales et comme j’adorais l’histoire et ne me voyais pas attendre des heures pour entrer au Louvre, j’avais suivi son conseil et j’avais acheté mon billet le soir même.

Un Parisien a bousculé la table ce qui a eut pour effet de renversé la majeure partie de mon café sur la table. J’ai blasphémé une séquence de mots qu’il ne comprenait pas et je l’ai regardé disparaîtr­e à l’intersecti­on. La serveuse qui avait vu la scène au moment de répondre à un nouveau client s’est immédiatem­ent empressée de venir m’aider à nettoyer et m’a simplement commenté:

-Ne vous en faites pas, ça arrive tous les jours. Les gens ne savent plus comment vivre ici, vous savez, avec tout ce qui s’est passé... J’ai penché les yeux, un peu triste. Elle est retournée voir le client pour confirmer la commande et est rentrée dans le bistro, sortant quelques minutes plus tard avec le thé qu’il avait commandé.

J’ai boudé le journal, ramassant plutôt la revue qui traînait sur une autre table et j’ai cherché les gros titres en tournant rapidement les pages. Comme je n’avais pas vraiment la tête à réfléchir avec toute la fatigue accumulée, j’ai simplement regardé les caricature­s qu’il y avait, patientant jusqu’à l’ouverture du Louvre qui était prévue à 9h00.

Le seul autre client qu’il y avait sur la terrasse était l’homme qui avait commandé un thé. Il buvait à petite gorgée, tenant d’une main le Coran qu’il récitait à voix basse. Je n’étais pas bien sûr s’il lisait ou priait, mais au bout d’un moment, il a levé les yeux en ma direction et m’a souri. J’ai hoché la tête pour répondre à son sourire et il s’est finalement levé, laissant quelques euros sur la table et s’est approché. -Vous aimez? m’a-t-il demandé. J’avais dû croire qu’il savait que j’étais un touriste, car j’ai commencé à balbutier que l’idée que je m’étais faite cette ville était mieux, mais que je me laissais tout de même jusqu’à la fin de mon séjour avant de juger, qu’il me restait tout de même l’amour à trouver.

-Je parle de la revue, vous aimez? a-t-il insisté. J’ai levé les yeux en sa direction et j’ai aperçu des traits sévères sur un teint de sable. J’ai déposé la revue sur la table, jetant rapidement un coup d’oeil à la couverture. J’ai fini par lui répondre que j’étais indifféren­t et qu’il allait falloir que je demande des explicatio­ns à mon cousin pour qu’il puisse m’aider à comprendre ce que tout ça voulait dire.

Il a commencé à jouer dans sa barbe et a fini par le dire qu’il aimait bien la revue, qu’il était un peu attristé que tout le monde le juge, mais qu’il comprenait après tout ce que la ville avait dû traverser au courant de la dernière année.

- C’est terrible, a-t-il ajouté. Paris ne mérite pas ça. Ni aucune autre ville.

Et il est parti. en me souhaitant bonne journée. J’ai regardé ma montre, 8h30, j’allais avoir assez de temps pour marcher jusqu’au musée et appeler mon cousin. Il était censé revenir de Bruxelles ce matin.

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Mamie

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