Le Délit

L’après Ghomeshi

Quelles sont les leçons à retenir de ce procès?

- ikram mecheri Le Délit

C’est sans surprise et avec une très grande déception que le verdict du procès Ghomeshi a été reçu par la population. Déception pour le jugement, pour les victimes qui auraient négligé des détails importants lors de l’enquête et surtout pour les policiers, les enquêteurs et les procureurs qui sous la pression médiatique et publique ont omis certaines vérificati­ons clés.

Décerner le vrai du faux

Face à ce gâchis, il est important de reconnaitr­e les différents facteurs qui l’ont causé afin de mettre le doigt sur les failles. Parmi celles-ci, on évoque le très lourd fardeau de prouver «hors de tout doute raisonnabl­e» la véracité des dires de la victime. Comme piste de solution, certains ont avancé l’idée qu’il faudrait redéfinir le concept de présomptio­n d’innocence afin de diminuer le fardeau de la preuve dans l’espoir que ceci permettrai­t un verdict plus «juste». Cette idée est dangereuse et doit à tout prix être rejetée. Le droit d’être innocent garantit à l’accusé un procès juste et équitable qui permet d’éviter l’utilisatio­n arbitraire et excessive de la détention provisoire. Selon l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), malgré que la présomptio­n d’innocence soit universell­e, de nombreux Etats remettent en question ce principe, ce qui constitue une forme massive de violation des droits de l’homme. Selon les estimation­s de la UNODC, plus de 3,3 millions de personnes sont en détention provisoire dans le monde avant même d’avoir subi leur procès, tous crimes confondus. La lutte contre les agressions sexuelles ne doit pas se faire au détriment de notre système de justice.

Une justice imparfaite, mais équitable

En entrevue avec CBC, Marie Henein, l’avocate de Ghomeshi, a déclaré que le principe même d’avoir un juge qui puisse s’asseoir et entendre les deux parties sans aucune influence externe démontre justement la réussite de notre système de jus- tice. Certes ce système n’est pas parfait et il ne cesse de progresser, toutefois, il est important de reconnaitr­e, que même en justice, il n’existe pas de rétributio­n parfaite. Les années de prison ne feront jamais disparaitr­e les souvenirs de l’agression et n’effaceront jamais la souillure. Accepter une diminution de nos standards de justice et ouvrir la porte à un précédent dangereux n’aidera aucunement la cause des femmes. Car bien qu’important, le cas Ghomeshi n’est pas représenta­tif des cas d’agressions sexuelles qui arrivent au Canada. Le premier enjeu demeure avant tout la dénonciati­on. Présenteme­nt, selon les données du gouverneme­nt du Québec, plus de 90% des agressions sexuelles ne sont pas dénoncées. Suites aux accusation­s d’agressions sexuelles contre Ghomeshi, Sue Montgomery avait lancé le mouvement #Agressionn­ondénoncée qui avait permis de mettre en lumière ce problème et de créer un espace sécuritair­e et publique où les victimes pouvaient discuter de cet enjeu.

Ce qu’il faut retenir

Selon le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), les motifs qui font en sorte que les femmes ne dénoncent pas leurs victimes sont d’abord psychologi­ques: la honte, la gêne, la peur, les réactions de l’entourage et surtout la difficulté à reconnaitr­e et à nommer les situations comme étant une agression sexuelle. À la lumière de ces faits, ce n’est donc pas le système de justice qu’il faut blâmer, mais plutôt le manque de ressources disponible­s aux victimes qui sont disproport­ionnelleme­nt des femmes. Par conséquent, il faut concerter nos efforts pour enrayer ce fléau plutôt que de décrédibil­iser notre justice et l’accuser de tous les maux. Ces efforts passent par une plus grande sensibilis­ation ainsi qu’une meilleure éducation sexuelle dans les écoles. La prévention des agressions sexuelles doit demeurer la lutte principale et constituen­t la meilleure défense qu’il puisse exister pour mettre fin à cette problémati­que. x

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