Le Délit

Petits meurtres en famille

El Clan reconstitu­e la trajectoir­e emblématiq­ue d’un gang familial argentin.

- hortense chauvin Le Délit

Dans le cadre du septième festival du film latino-américain, le cinéma du Parc présente El Clandu réalisateu­r argentin Pablo Trapero. Inspiré d’une histoire vraie, le film retrace la carrière criminelle tragique de la famille Puccio, responsabl­e de plusieurs enlèvement­s et assassinat­s à l’aube de la transition démocratiq­ue argentine.

En 1982, la dictature militaire tire à sa fin. Alors que l’argentine amorce lentement son retour à la démocratie, Arquímedes Puccio, militaire et père d’une famille de cinq enfants, planifie froidement les enlèvement­s de citoyens fortunés. Aidé par ses fils et couvert par la complicité passive du reste du foyer, il perpétue le règne de la violence gouverneme­ntale dans l’intimité de la sphère familiale. Les institutio­ns militaires s’effffffond­rent, les séquelles de leurs excès demeurent.

Trapero explore une société argentine dans les limbes, déchirée entre la promesse d’un avenir démocratiq­ue et les vestiges d’une violence banalisée. Les hommes de main de la dictature désormais au chômage prolongent en silence les méthodes du régime chancelant. Alors que le pays entrevoit avec espoir un retour au respect des droits de l’homme et de la dignité humaine, la persistanc­e des enlèvement­s et des disparitio­ns obstrue le paysage. El Claninterp­elle en dépeignant la banalité du mal: sous la surface de leur existence rangée, les Puccio perpétuent des actes atroces de manière mécanique, presque inconscien­te. Passifs et détachés face au crime, ils font preuve d’une cruauté indiffffff­érente. Trapero s’adonne ainsi à une réflexion troublante sur les relations complices de l’individu vis-à-vis de la violence et sur ses responsabi­lités.

Cocktail visuel

À la fois thriller, policier et drame familial, El Clan mélange les genres avec talent. L’écriture de Trapero est unique, sensible, surprenant­e. Si son sujet est captivant, il ne sacrifie cependant pas la forme au fond et joue sur les décalages. Les repas familiaux ont pour fond les hurlements de douleur de prisonnier­s détenus au sous-sol, les scènes de sexe se superposen­t à celles de mise à mort… Entre absurde et humour noir, les portraits de violence sont systématiq­uement accompagné­s de musique joyeuse, signalant le détachemen­t des personnage­s et leur éloignemen­t du réel. Trapero offffffre donc une perspectiv­e inouïe sur une période de l’histoire latinoamér­icaine jusqu’alors peu évoquée au cinéma. Le résultat est remarquabl­e. On quitte la séance bouleversé, marqué par le regard singulier du réalisateu­r dont le souhait est de « faire des films qui commencent à vivre quand on sort de la salle. »

El Clan tire également sa force de la performanc­e admirable de ses acteurs. Guillermo Francella, plus connu en Argentine pour ses rôles comiques, interprète ici le rôle principal et maîtrise parfaiteme­nt le registre dramatique. Avec son regard froid et son allure impassible, son incarnatio­n du patriarche autoritair­e et tyrannique est stupéfiant­e. De la mère apathique au fils assujetti, les seconds rôles sont particuliè­rement bien construits et dressent un portrait fascinant de cette famille énigmatiqu­e. Sous le joug de ce père implacable, chacun des membres de la famille devient complice sans jamais vraiment le vouloir. L’aspect le plus fascinant du film réside peut-être dans la dualité de ces personnage­s aux apparences anodines, sympathiqu­es collègues le jour et séquestreu­rs sadiques la nuit. Dans le monde dépeint par Trapero, le mal semble pouvoir se loger partout et surtout là où on l’attend le moins.

Conforméme­nt aux désirs du cinéaste, El Clan survit à son générique de fin. Les questions difficiles que le film soulève poursuiven­t le spectateur bien au-delà de la salle du cinéma. Avec ce film marquant, Trapero nous invite à nous interroger sur la manière dont l’indifféren­ce brouille les frontières morales et fait de la violence une convention. x

«Ils font preuve d’une cruauté indifféren­te»

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